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d’actes des aïeux que l’historien apprécie plutôt en plaideur passionné qu’en juge intègre. Lui qui est si sévère pour la « foi punique, » n’a pas un mot de blâme pour des perfidies au moins égales, dès qu’elles sont commises par les Romains : Romulus enlevant les Sabines, Camille violant la parole donnée aux Gaulois, Scipion incendiant le camp ennemi par trahison, lui paraissent agir dans la plénitude de leur droit. Les mesures si rigoureuses prises contre Capoue sont proclamées par lui « louables de tout point. » Il veut que les ennemis eux-mêmes « avouent la grandeur de Rome, » et il excelle à leur arracher de tels aveux. Vibius Virrius, chef des sénateurs campaniens, absout avant de mourir les Romains du reproche de cruauté : « Nous aurions fait comme eux si nous avions été les plus forts. » Tout cela est, si l’on ose dire, d’un « chauvinisme » un peu puéril. — Mais, en regard, que d’endroits où les sentimens d’équité et de tolérance parlent plus haut que l’amour-propre national ! Taine, qui n’est point suspect d’excessive indulgence pour Tite-Live, qui lui reproche de ne pas vouloir « déchirer la robe de pourpre qui dissimule une blessure ou une souillure, » Taine reconnaît pourtant que cet ardent défenseur de Rome est accessible à la bonne foi, à la pitié. « Parfois, dit-il, ayant avoué les mauvaises actions, il les juge ; il est homme autant que citoyen, et s’indigne des perfidies de Rome comme de ses défaites. » Taine cite à ce propos, avec beaucoup de finesse, les discours que Tite-Live met dans la bouche des adversaires de Rome ; il montre que la chaleur, la vigueur avec laquelle il les fait parler, suppose chez lui une adhésion plus ou moins sympathique : de telle harangue on peut déduire l’opinion de l’historien lui-même sur la violation du traité des Fourches Caudines, par exemple, ou sur l’acharnement de Rome contre Hannibal vieilli, ou sur sa tyrannie envers les Achéens, et cette opinion, quoique implicite, est nettement défavorable. « On sent que le Romain a entendu le dernier soupir de la justice, et qu’il est un moment du parti de l’opprimé. » — Ainsi, devant les crimes de la politique romaine, l’attitude de Tite-Live n’est pas toujours identique : tantôt il les excuse, non sans sophismes ; tantôt il les blâme, non sans regrets. Mais il est plus rassuré, cela se comprend, lorsqu’il peut louer sa chère patrie sans qu’il en coûte rien à sa conscience humaine. Toutes les fois qu’il rencontre dans les annales un