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mais ce ne sont pas seulement des phrases. Cicéron fait tous ses efforts pour en augmenter la portée. Il les met sous le patronage des philosophes grecs, de Xénophon dans sa Cyropédie ou de Platon dans sa République, et il n’oublie pas non plus d’invoquer l’autorité de certains hommes d’Etat romains, tels que Scipion Emilien, fidèle à la double tradition dont il aime à se réclamer. D’ailleurs, ces belles spéculations philanthropiques ne lui font pas perdre de vue les nécessités positives de l’Etat romain. Comme les Grecs d’Asie murmurent contre les sociétés de publicains qui ont affermé la perception du tribut, et que Quintus est assez enclin à encourager leurs plaintes, Cicéron les rappelle avec fermeté, et non sans malice, à leurs devoirs de contribuables. « Ils doivent bien se dire qu’ils seraient exposés à toutes les guerres, à toutes les discordes, s’ils n’étaient pas maintenus par notre autorité. Or cette autorité ne peut subsister sans argent. Qu’ils consentent donc à sacrifier une part de leurs revenus comme une prime d’assurance de paix et de tranquillité. » C’est une définition très précise des relations entre les maîtres et les sujets, une définition ni chimérique ni tyrannique, où les intérêts des deux parties sont conciliés, identifiés même, et non heurtés brutalement. Si l’on songe que cette lettre est écrite au moment où Cicéron est le chef du parti modéré, où sont venus s’agglomérer, autour des chevaliers, les aristocrates les plus intelligens et les démocrates les plus raisonnables, on pensera peut-être qu’il a tracé une sorte de manifeste ou de discours-programme, et que ce manifeste, en ce qui touche à l’administration provinciale, fait autant d’honneur à sa clairvoyance qu’à sa générosité.

Seize ans se passent encore, pendant lesquels les événemens se chargent de ramener maintes fois son esprit sur ces importans problèmes. Les provinciaux se mêlent ardemment aux luttes des partis, à la guerre entre César et Pompée ; César, très dur pour certains d’entre eux, ouvre toute large à d’autres la porte de la cité romaine : tout cela invite Cicéron à réfléchir plus que jamais aux droits et devoirs réciproques des vainqueurs et des vaincus. Aussi, dans son dernier grand traité de morale, le De officiis, composé au lendemain de la mort de César, apparaît-il préoccupé de marque* une juste limite en cette matière