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Avec leur artillerie insuffisante et leur dressage incomplet, les marsouins anglais n’étaient pas assez nombreux pour donner une aide efficace aux troupes belges épuisées. Mais ils savaient qu’on les envoyait à la mort, et ils y allèrent galamment.

Leur intervention trop escomptée ne retarda pas la catastrophe. Elle la rendit au contraire plus sanglante, et faillit compromettre la liberté du gouvernement, de l’armée de campagne, et aussi d’une foule d’habitans qui préféraient l’exil au séjour dans leur ville conquise. Jusqu’au dernier moment, militaires et civils avaient espéré. Puis, soudain, ils apprenaient que la capitale de la Belgique est transférée à Ostende et que la place est devenue intenable : « On nous prévint en nous donnant deux heures, me racontait un Anversois, pour faire nos préparatifs et nous embarquer. » Et Powell renchérit : « C’était comme si l’on eût attendu, pour crier « Au feu ! » le moment où les flammes auraient embrasé le premier étage de l’immeuble et coupé la retraite aux locataires. »

Le reporter américain n’est probablement pas un écrivain professionnel. Mais il a dépeint la fuite des habitans de la ville et des régions rurales, « un demi-million de fuyards » et les derniers momens de la place assiégée en des pages qui sont d’un réalisme saisissant et d’une beauté classique. Elles seraient à citer tout entières, si on pouvait, sans nuire à leur relief, les détacher d’un ensemble d’impressions singulièrement vivant et harmonieux. Cette armée qui dispute le terrain pied à pied ; ce grouillement de citadins et de campagnards qui s’expatrient par tous les moyens de locomotion connus, quel souffle patriotique les entraine, quelle haine de l’envahisseur les anime !

L’armée de campagne a pu s’échapper ; la majeure partie de la garnison l’a suivie. Quelques forts au-delà de l’Escaut tiennent encore, mais la ville, où pleuvent les bombes, est maîtresse de son sort. Elle se rend aux vainqueurs qui la traversent et, sans désemparer, se lancent à la poursuite des troupes belges en retraite vers Ostende. Pendant qu’ils bataillent avec l’arrière-garde, le nouveau régime est systématiquement installé.

Rien n’y manque et, cette fois, l’esprit méthodique des Allemands fait merveille. Il ne fallait pas moins que leurs facultés d’organisation bien connues pour vaincre prestement les incendies allumés ou fomentés par les obus du bombardement, les épidémies que la rupture des canalisations rendait