Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des renforts. On s’était attendu à des combats de rencontre, sur la foi de théories prônant de part et d’autre l’offensive, et l’on se heurtait à des positions organisées, d’où l’adversaire ne sortait que lorsqu’il supposait notre force matérielle détruite et notre moral anéanti. Sans le ressort naturel de la race et l’habileté de nos grands chefs, les pénibles déceptions éprouvées pendant la prise de contact auraient produit un résultat désastreux.

C’est très joli de railler, dans des lettres destinées à la publicité, les engins guerriers de l’adversaire ; mais je ne sais si tous ceux qui en ont vraiment éprouvé les effets professent pour ses shrapnells, « marmites » et mitrailleuses un aussi tranquille mépris. Je suis resté maintes fois plusieurs heures de suite sans abri sous les projectiles variés des Allemands, et je trouve que Powell énonce à leur égard une opinion raisonnable : « Vous avez tous ouï la tempête d’hiver clamant et sifflant au faite des arbres décharnés. Le shrapnell a la même résonance, mais très accentuée. On ne conçoit pas à quel point les shrapnells sont désagréables, quand ils éclatent dans votre voisinage immédiat. On éprouve le regret de ne pouvoir se métamorphoser brusquement en bûche de bois cachée dans un creux de terrain… » Comme lui j’ai constaté que les obus à balles explosaient toujours à bonne hauteur et à bonne portée, que les « marmites » semblaient posées comme avec la main à leur adresse, que mitrailleuses et fusils tiraient toujours dans la bonne direction. Sans parler des pertes éprouvées par certains régimens, je puis dire que le tir sur des objectifs même peu vulnérables était en général, au début de la guerre, efficace ou bien réglé. Il me souvient par exemple d’une section de mitrailleuses dont le commandement équivalait à un arrêt de blessure ou de mort : trois fois en diverses rencontres, cette section se mit en batterie, et trois fois, dès la première bande, le chef fut une des victimes du combat. Un jour, certain officier de ma connaissance reçut, en peu de temps, dans sa personne ou ses habits, cinq projectiles variés, tandis qu’il flânait sur un petit espace découvert.

Mais ce que j’en dis n’est pas pour dégoûter les curieux qui voudraient aller y voir. L’exemple de Powell, et de bien d’autres, prouve qu’on en revient. Après tout, en ces matières, il vaut mieux s’attendre au pire pour avoir l’agréable surprise du moindre mal.