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entretenue par les sous-ordres, à cette foi instinctive de tous dans la vitalité du pays, que la manœuvre du Parthe, si difficile et si dangereuse pour des groupes d’armées, put réussir.

D’ailleurs, toute cette partie du récit de Powell évoque chez les Français des souvenirs et des comparaisons qui sont à la fois tristes et consolans. L’exode des villageois et des citadins fuyant devant l’envahisseur, dont le passage de l’armée belge en retraite annonce l’approche inattendue, fut semblable dans ses moindres détails à celui des bourgeois et des paysans de chez nous. Ces pauvres gens avaient vu nos troupes pleines d’entrain aller vers le Nord, vers la victoire que les premiers Bulletins officiels des Communes promettaient complète et prochaine. Et, quelques jours après, ces mêmes troupes revenaient. Elles arrivaient à une heure tardive, harassées, les rangs éclaircis, mais toujours bien équipées, avec leurs trains en bon état. Comme aux manœuvres du temps de paix, les officiers de jour préparaient les cantonnemens, veillaient aux distributions, et, pendant la nuit, les cyclistes portaient dans les unités les ordres pour le départ au point du jour : « Alors, nous aussi, nous devons partir ? » demandaient les habitans au maire perplexe, aux officiers et aux gradés, qui n’en savaient pas plus long qu’eux. Et c’étaient les matelas chargés en toute hâte sur des chariots, des tiroirs ouverts et vidés sur le plancher dans la fièvre des recherches et des choix indécis, des cachettes mises au jour d’où sortaient les économies et les bijoux ; des bestiaux rendus inquiets par tout ce remue-ménage et qui faisaient grand bruit ; des enfans ahuris et pleurans. Quand tout était paré pour le départ, on le différait jusqu’au dernier moment. Qui sait ? On n’entendait pas le canon, les uhlans n’étaient pas signalés ; peut-être ne viendraient-ils pas jusque-là ? Les Français feraient front et les chasseraient au loin. Mais, à l’aurore, ce fragile espoir s’envolait. Alors on attelait un vieux cheval, dont la réquisition n’avait pas voulu, l’on hissait sur le char les derniers nés et parfois les grands-parens, qui avaient vu 70 ; on abandonnait les bœufs et les moutons à la garde de Dieu ou des entêtés qui ne voulaient pas fuir, et l’on allait par les routes, les chemins de traverse, chez des amis, chez des cousins, chez des étrangers, qui donneraient asile aux fugitifs. Et ce que je ne me lassais pas d’admirer, c’était la délicatesse de tous ces malheureux qui ne songeaient pas à nous reprocher leur misère. Je n’ai jamais vu