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que son acte inspirait : « Bah ! je suis très fort et je pouvais, tout seul, ramener le bonhomme. Autrement, j’aurais dû, pour obtenir ce résultat, envoyer deux soldats qui étaient évidemment plus vulnérables. — Mais vous pouviez y rester vous aussi, et vous êtes le chef qui ne doit pas s’exposer sans raison… — Ohl nul n’est indispensable, et, si j’avais été touché, ça aurait fait de l’avancement… » Je crois inutile d’ajouter que cet exemple d’héroïsme sans façon établit sans conteste dans la compagnie l’autorité morale de son nouveau chef.

Après une lutte qui dura trois jours, du 23 au 26 août, l’armée belge est obligée de céder à la pression de forces très supérieures ; elle évacue de nouveau Malines et se retire dans le camp retranché d’Anvers. Powell a suivi toutes les phases de la bataille, qui s’étendit sur un front de trente-cinq kilomètres ; il accompagne la retraite, et il pense que ce mouvement en arrière n’est pas définitif. La discipline et la fière tenue des troupes ne sont pas amoindries par l’échec : « … Les soldats demeuraient confians, pleins de courage, et me donnaient cette impression que, si le front allemand cessait une minute de se tenir sur ses gardes, la petite Belgique lui porterait un de ces coups qui cuisent comme ceux du soleil… » Si, par aventure, il avait assisté à la retraite française vers la Marne, il aurait eu le même spectacle et la même opinion.

Contrairement à ce qu’on « aurait pu croire, les erreurs et les défaites du début de la campagne, le retour précipité vers le Sud, si différent de la marche rapide vers le Rhin, que beaucoup d’entre nous rêvaient encore quelques jours auparavant, les sommeils abrégés par les départs en pleine nuit, les marmites renversées dans la fièvre des alertes et des contre-ordres, les marches épuisantes dans l’ignorance des événemens, rien de tout cela n’entamait la cohésion ni l’espoir. « Ca commençait mal, mais ça ne durerait pas, et ça ne finirait pas ainsi. » Tel était le sentiment commun dans les rangs. On ne pouvait croire que la France ferait faillite à ses destinées ; on avait beau être sans indices sur la situation générale, les plans de campagne et les sentimens des grands chefs, on était « sûr de Les avoir tout de même. » Et, si des pessimistes geignaient, on ramenait la confiance en affirmant au petit bonheur : « Ne vous frappez pas ! C’est un piège qu’on leur tend ; on les attire pour mieux leur tomber dessus ! » C’est grâce à cette confiance adroitement