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élèves eux-mêmes, et la plupart des habitans du château où l’on était venu passer les vacances, tout le monde était parti ; la jeune fille ne recevait plus lettres ni journaux ; et déjà elle commençait à se sentir cruellement angoissée, lorsqu’un vieux colonel était venu lui dire de la part de la Princesse, que sa lettre à l’ambassadeur, dûment interceptée, aurait eu de quoi lui valoir l’accusation d’espionnage. Cependant le Prince et la Princesse daignaient lui épargner les conséquences qui n’auraient pu manquer de résulter de son acte en toute autre occasion : mais ils exigeaient que Mlle X..., jusqu’à la fin de la guerre, demeurât enfermée au château où elle se trouvait, avec défense de voir personne autre que les deux femmes attachées à son service.


Heureusement, la surveillance organisée autour de la prisonnière n’a point tardé à se relâcher. Un soir, vers le milieu de septembre, Mlle X..., — que l’on croyait malade, et tout à fait hors d’état de sortir de son lit, — a réussi à franchir la grille du château, sans emporter d’autre bagage que « son journal intime, son porte-monnaie et un passeport qui lui avait été délivré jadis aux États-Unis. » Pendant toute la nuit elle a couru le long du fleuve, se dirigeant vers Coblence, la ville la plus proche. Le matin, au moment où les habitans du château ont dû s’apercevoir de son évasion, le « porte-monnaie » dont elle s’était munie lui a permis de se transformer en une jeune paysanne allemande se rendant à Coblence pour dire adieu à son frère, soldat (imaginaire) d’un régiment dont Mlle X... se trouvait connaître l’existence. C’est sous ce déguisement qu’elle a pu s’embarquer à bord d’un bateau jusqu’à Emmerich, la dernière station allemande ; et puis, toujours grâce au précieux « porte-monnaie, » la paysanne westphalienne est devenue une « touriste » de Washington, parcourant l’Allemagne avec le vieux passeport que l’on sait. Trois jours après sa fuite du château de Z..., l’ex-institutrice arrivait à Rotterdam ; dès le début d’octobre, elle était à Londres, « avec la tête remplie des souvenirs de tout ordre que lui avait laissés son séjour de cinq ans dans les environs immédiats de la Cour de Berlin. »


T. DE WYZEWA.