Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évidemment essayé de « jouer son grand jeu, » — avec son désir habituel « de produire dès l’abord, sur toute personne qu’il rencontrait, l’impression la plus profonde et la plus heureuse possible. » Il avait aimablement questionné Mlle X... sur elle-même et diverses familles amies, lui avait déclaré que c’était sur son conseil que les parens des petits princes s’étaient décidés à engager, pour leurs fils une institutrice anglaise ; et puis il lui avait demandé si, par hasard, elle n’était pas une « suffragette. » Et, comme Mlle X... avait répondu que l’on pouvait fort bien être Anglaise sans faire partie de la « ligue » de Mme Pankhurst, l’Empereur l’avait, en souriant, menacée du doigt, « comme un maître d’école. »

— Ah ! lui avait-il dit, on voit bien que vous n’êtes pas une véritable Anglaise, sans quoi vous ne parleriez pas ainsi ! Toutes ces modernes dames et demoiselles anglaises sont de zélées suffragettes ! Et certes, nous leur montrerions ce que nous pensons d’elles, si elles s’avisaient de nous envoyer ici une députation : mais, aussi longtemps qu’elles bornent leur propagande à leur sol natal, nous ne pouvons que les bénir !


A Potsdam, plus tard, Mlle X... a eu l’occasion de faire bien d’autres rencontres mémorables, et qui nous valent aujourd’hui, dans son livre, de bien curieux portraits. Voici, par exemple, le professeur Delbruck, le successeur du célèbre Treitschke à l’Université de Berlin ! Celui-là, un brave homme avec de gros yeux sourians, emploie ses manières les plus douces et polies pour s’étonner, devant l’institutrice anglaise, de l’étrange idée qui a empêché les parens de ses élèves de donner à leurs enfans une « gouvernante » allemande. Copieusement, ensuite, l’excellent homme démontre à Mlle X... l’énorme supériorité des institutrices allemandes sur celles des autres pays, et de l’Angleterre en particulier. « Tout ce qu’il y a de bon, s’écrie-t-il, nous le possédons en Allemagne, tout excepté un territoire suffisant ! »

Un autre jour, la mère des petits élèves apprend, en passant, à l’institutrice que le Kronprinz est en train d’avoir un entretien important avec le général von Hindenburg.


Sans ce mot de la Princesse, je n’aurais pas su qui était l’officier d’âge mûr, à la mâchoire carrée et aux yeux hardis, que je venais de voir pour la première fois. Le Kronprinz et lui se tenaient assis en face de la porte, regardant les enfans, qui leur faisaient le salut militaire. Mais je compris tout de suite que cette présence des enfans les importunait ; et