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dépenses du corps d’officiers anglais qui avait pris l’initiative de l’expédition, celle-ci s’est trouvée tomber à l’eau, ce qui ne pouvait manquer de créer une impression des plus fâcheuses. »


Mais il est temps que je revienne aux souvenirs personnels de Mlle X... La rencontre initiale de celle-ci avec les parens de ses élèves, telle qu’elle vient de nous la raconter, n’avait eu lieu, en réalité, que plusieurs semaines après l’entrée en fonctions de la jeune institutrice anglaise. Née à Washington, et descendant par sa mère d’un « grand-père » américain qui s’était, en effet, acquis une situation fort en vue dans la marine militaire des États-Unis, Mlle X... avait été « découverte » naguère en Amérique par le prince Henri de Prusse, frère cadet de l’empereur Guillaume, dont la recommandation lui avait valu maintenant d’être appelée de Londres pour achever d’instruire à la pratique familière de sa langue natale les deux fils aînés du couple princier que l’on sait. Mais le hasard d’une de ces maladies plus ou moins contagieuses, — grippe, rougeole, etc., — qui, de tout temps, ont inspiré une terreur quasi « panique » à chacun des divers membres de la famille du Kaiser, avait contraint, depuis quelques jours, les parens des futurs élèves de la jeune Anglaise à se séparer de leurs enfans ; et Mlle X... avait d’abord trouvé ces enfans relégués, sous la seule garde d’un lieutenant von H..., leur précepteur, dans un vieux château pittoresque proche des bords du Rhin.

La présentation mutuelle s’y était faite parmi des circonstances assez imprévues. Les deux aînés des trois petits princes, au moment où Mlle X... avait été conduite près d’eux, s’occupaient de tout leur cœur à essayer un nouveau « jeu de guerre » que venait d’inventer et d’aménager à leur usage le comte Zeppelin ; d’un jeu qui consistait à bombarder, du haut de minuscules ballons dirigeables, les principaux monumens de trois villes en carton-pâte, scrupuleusement reproduites en miniature d’après les plans authentiques de Londres, de Paris, et de Saint-Pétersbourg. Le jeune et beau lieutenant, qui naturellement dirigeait la « partie, » transmettait à ses élèves les instructions reçues par lui du comte Zeppelin : il leur enseignait à détruire, de préférence, les « édifices d’utilité nationale, » ou bien encore les « monumens du passé historique. » Et comme Mlle X..., — qu’il avait jusque-là, lui aussi, supposée de nationalité anglaise, — lui signalait doucement ce qu’il y avait d’un peu offensant pour sa qualité d’Anglaise dans le spectacle d’un jeu tel que celui-là, il s’était excusé de son mieux en alléguant les avantages de l’invention