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de visiter, au retour, le Japon et la Chine. Force avait été au Kronprinz de borner son exploration à deux pays ressortissant à l’influence anglaise, l’Inde et l’Egypte : mais, dans ces deux pays, la Comtesse assurait qu’il avait rempli de son mieux son emploi improvisé de « princier espion. » Conformément à ses instructions, il n’avait rien négligé pour se renseigner sur « les sentimens cachés des souverains indigènes et de leurs sujets à l’endroit de la politique et de la civilisation anglaises. » Des journaux berlinois lui avaient, il est vrai, respectueusement reproché d’avoir préféré de splendides parties de chasse en compagnie de rajahs à l’étude des « trésors historiques » de l’Inde. C’est que sa « consigne » était de « poser » avant tout pour un sportsman aux yeux des Anglais, tandis que, d’autre part, il s’ingéniait à répandre le prestige de la maison de Hohenzollern, tout en recueillant maints aveux intéressans de la bouche de « natifs » de toute catégorie. Pareillement, son séjour en Egypte n’avait pas été perdu. Lui-même annonçait fièrement à son père que son long entretien privé avec le Khédive « lui avait procuré des résultats encourageans. »

Pourquoi faut-il seulement, — toujours si l’on en croit la malicieuse Comtesse, — que ce célèbre voyage ait risqué d’être gâté par deux petits « accrocs, » dont l’un a eu pour origine un mouvement trop vif de curiosité amenant le jeune prince à vouloir pénétrer un peu trop à fond dans l’intimité du harem d’un certain dignitaire indigène, son hôte du moment ? Et quant à l’autre « accroc, » — consistant en ce que le Kronprinz, au dernier moment, a refusé de participer à une chasse longuement préparée à son intention, — cette fois toute la faute aurait été à un léger « travers, » commun au jeune prince et à l’Empereur.


Car avec leur bravoure incontestable, il n’en reste pas moins que le père et le fils sont sujets à de soudaines attaques de frayeur nerveuse, qui s’emparent d’eux sans avertissement préalable. Chez le Kaiser, ces attaques sont rares : mais leur crainte le maintient dans une angoisse perpétuelle. C’est cette crainte qui l’a toujours empêché de tenter la moindre excursion aérienne, aussi bien avec Orville Wright qu’avec le comte Zeppelin. Et le même brusque accès de nervosité prend parfois possession du Kronprinz. Là-bas encore, le matin de la partie de chasse, le brillant cavalier aux allures théâtrales s’est tout d’un coup senti envahi d’un tremblement irrésistible, en présence des deux superbes chevaux entre lesquels ses hôtes l’invitaient à choisir. « Si bien que l’unique parti possible pour le pauvre garçon a été de se prétendre subitement malade, — ajoutait la Comtesse, — et voilà comment, après toutes les fatigues et les