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leurs veines coule toujours le vieux sang des Goths, qu’ils sont d’un orgueil démesuré, durs, intolérans, dédaigneux de tout ce qui n’est pas germanique, et d’une rapacité sans bornes. Hommes de tête, mais sans cœur ; race forte, mais non civilisée. Et ce Roi, qui a toujours à la bouche Dieu et la Providence, avec le secours de laquelle il détruit la meilleure partie de l’Europe ! Il se croit prédestiné à réformer les mœurs et à punir les vices du monde moderne ! Quel type de missionnaire !

« L’antique Attila (autre missionnaire du même genre) s’arrêta devant la majesté de la capitale du monde antique ; mais celui-ci s’apprête à bombarder la capitale du monde moderne. Et maintenant que Bismarck veut annoncer que Paris sera épargné, je crois plus que jamais qu’il sera, en partie du moins, détruit. Pourquoi ?... Je ne saurais le dire. Peut-être pour qu’il n’existe plus une capitale si belle, qu’ils n’arriveront jamais à en avoir une pareille. Pauvre Paris ! que j’ai vu si gai, si beau, si splendide en avril dernier. »

Et Verdi concluait ainsi : « J’aurais aimé une politique plus généreuse et qu’on payât une dette de reconnaissance. Cent mille des nôtres pouvaient peut-être sauver la France. En tout cas, j’aurais préféré signer la paix, nous vaincus avec les Français, plutôt que cette inertie qui nous fera mépriser un jour. La guerre européenne, nous ne l’éviterons pas, et nous serons dévorés. Cela ne sera pas demain, mais cela sera. »

Il nous plaît d’entendre ces paroles d’outre-tombe. Souhaitons ardemment que d’autres, sans plus tarder, les écoutent aussi. Les vaincus ne seront pas, cette fois, ceux qui signeront la paix à côté de nous, avec nous. En attendant, et puisque aujourd’hui nous ne saurions, nous tous écrivains français, rien écrire qui ne touche à la France, félicitons-nous que la voix d’un grand musicien étranger ait donné cette note, jeté ce cri d’amour pour nous, et d’horreur pour nos ennemis.


CAMILLE BELLAIGUE.