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réclame ou publicité. Rien ne lui répugnait autant que l’exhibition et l’ostentation de soi-même. De ses œuvres, de son art, il donnait tout au public, mais rien de sa personne et de son âme. Vingt détails seraient à citer, qui témoignent de cette réserve et de cette modestie. Sollicité d’écrire ses mémoires, il répondait (en 1895) : « C’est bien assez pour le monde musical d’avoir supporté, si longtemps, mes notes... Je ne le condamnerai jamais à lire ma prose. » Un jour même, — et ce trait sans doute est le plus fort, — il alla jusqu’à s’étonner, presque à s’irriter, comme d’un excès de curiosité et de considération pour sa propre musique, qu’un renommé critique d’Italie fit le voyage du Caire pour assister à la première représentation d’Aida. « Vous au Caire ! Voilà bien l’une des plus puissantes réclames qui se puissent imaginer pour Aida ! Il me paraît à moi que, dans ces conditions, l’art n’est plus l’art, mais un métier, une partie de plaisir, une chasse, une chose quelconque après laquelle on court, à laquelle on veut donner, sinon le succès, au moins la notoriété à tout prix. Le sentiment que j’en éprouve est celui du dégoût, de l’humiliation. Je me rappelle toujours avec joie mes premiers temps, alors que, presque sans un ami, sans que personne parlât de moi, sans préparatifs, sans influence d’aucune sorte, je me présentais au public avec mes œuvres, prompt à recevoir les fusillades, heureux si je pouvais arriver à produire quelque impression favorable. Aujourd’hui, que d’embarras pour un opéra ! Journalistes, artistes, choristes, directeurs, professeurs, tout le monde doit apporter sa pierre à l’édifice de la réclame et former pour ainsi dire un cadre de petites misères qui n’ajoutent rien à la valeur réelle d’une œuvre, si même elles n’offusquent cette valeur. Cela est déplorable, profondément déplorable. »

Il faut avouer que la critique ne s’attendait guère à être traitée et, d’avance, remerciée ainsi. En mainte conjoncture elle le fut bien autrement encore, et Verdi lui prodigua toujours, avec une parfaite courtoisie d’ailleurs, les marques de son indépendance et de sa dignité. Libre, fier avant tout, il le fut toute sa vie, et avec tout le monde. En 1849, au début de sa carrière, il écrivait déjà : « Dieu me garde, non pas même d’intriguer, mais de faire la moindre démarche (dussé-je mourir de faim !) qui pourrait seulement avoir l’air d’une intrigue. » Et encore : « Je n’ai jamais reçu de grâces ni de charité de personne, fût-ce il y a six ans, alors que j’étais dans le besoin, dans le très grand besoin. » De personne non plus, ni de son père, ni de son beau-père et bienfaiteur Barezzi, ni de ses amis les plus chers, comme Ricordi son éditeur, il ne supportait jamais la moindre entreprise contre cette