Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai dit : « Torniamo all’antico, » mais je parle de cet « antique » qui a été mis de côté par les exagérations modernes et auquel il faudra retourner tôt ou tard, infailliblement. Pour le moment, laissons déborder le torrent. Les rives se feront après. » Une autre fois, sur le mode ironique, il écrivait encore : « Présentement, je suis fort occupé à mettre la dernière main à un opéra en douze actes, plus un prologue et une ouverture longue comme les neuf symphonies de Beethoven toutes ensemble ; plus encore un prélude à chaque acte, avec tous les violons, altos, violoncelles, contrebasses, jouant à l’octave une mélodie, non pas de celles ad usum Traviata, Rigoletto, etc., etc., mais une de ces mélodies modernes, et si belles, qui n’ont ni commencement ni fin et qui restent suspendues en l’air comme le tombeau de Mahomet... Je n’ai plus le temps de vous expliquer comment les chanteurs devront faire l’accompagnement... Je vous le dirai une autre fois. »

Esclave, a-t-on dit, des conventions et des formules, il n’y eut jamais au contraire d’artiste plus libre et plus libéral que Verdi « J’aime en art tout ce qui est beau. Je ne suis pas exclusif ; je ne crois pas à l’école, et j’aime le gai, le sérieux, le terrible, le grand, le petit, etc. Tout, tout, pourvu que le petit soit petit, que le grand soit grand, le gai soit gai, etc., en somme que tout soit comme il doit être : vrai et beau. » Enfin, s’il fallait donner une conclusion à ces remarques éparses, la meilleure, et la plus large, serait peut-être celle-ci : « Je voudrais qu’un jeune homme, quand il se met à écrire, ne pensât jamais à être ni mélodiste, ni harmoniste, ni réaliste, ni idéaliste, ni aveniriste. Le diable emporte toutes ces pédanteries ! La mélodie et l’harmonie ne doivent être que des moyens aux mains de l’artiste, pour faire de la musique, et le jour où l’on ne parlera plus ni de mélodie, ni d’harmonie, ni d’écoles allemandes, italiennes, de passé, d’avenir, etc., alors peut-être commencera le règne de l’art. »

Verdi nous écrivait un jour à nous-même : « Vous et tous les critiques peuvent parler de l’artiste comme ils veulent. Mais je vous remercie d’avoir eu des paroles pour l’homme. Oui, j’ai la conscience de n’avoir jamais... » Et soudain il ajoutait : « Je m’arrête. » Ne nous arrêtons pas, nous. Jamais non plus, — cette correspondance en apporte un nouveau témoignage, — jamais on n’aura trop de paroles pour l’homme que fut Verdi. Musicien de théâtre avant tout, rien de moins théâtral, ou seulement de moins extérieur, rien de plus naturel et de plus vrai que son caractère et que sa vie. Du commencement à la fin de sa carrière, il eut une horreur insurmontable de ce qu’on appelle