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Wagner a choisis, mais c’est là seulement et toujours qu’il a tendu. Comme notre Gounod encore, il aurait pu dire : « L’art est une parole. Il doit être une parole d’honneur. »

Non seulement de Wagner, mais des idées wagnériennes, rien ne fut étranger à Verdi. Autant que le réformateur de Bayreuth, il se montre partisan de l’orchestre invisible, mais invisible complètement. « L’idée n’est pas de moi, elle est de Wagner, et elle est excellente. Il paraît intolérable, au jour d’aujourd’hui, de voir notre misérable frac et nos cravates blanches mêlés, par exemple, à des costumes égyptiens, assyriens, druidiques ; de voir, en outre, la masse de l’orchestre, qui fait partie du monde fictif, se tenir en quelque sorte au milieu du parterre et du monde de ceux qui sifflent ou applaudissent. Ajoutez à tout cela l’inconvénient de voir en l’air les têtes des harpes, les » manches des contrebasses et le moulinet du chef d’orchestre. »

Quant à l’esthétique générale, avec tous les principes, théories ou systèmes qu’elle comporte, et qu’elle ne saurait concilier, Verdi n’en fit jamais grand cas. Il se montrait particulièrement réservé dans ses jugemens, ne s’y fiant pas plus qu’à ceux d’autrui. « Je peux bien manifester académiquement, entre quatre-z-yeux, mon avis sur un travail musical quelconque, mais rien de plus. Les jugemens n’ont aucune valeur, alors même qu’ils sont sincères. Chacun juge suivant sa propre manière de sentir et le public interprète les jugemens d’autrui de la même façon. » Non pas au moins que le grand musicien n’eût conscience de sa valeur. Quand il se déclarait, « parmi les maîtres passés et présens, le moins érudit de tous, » il ne manquait pas d’ajouter : « je parle d’érudition, et non de savoir musical. De ce côté-là, je mentirais, si je disais que, dans ma jeunesse, je n’ai pas fait de longues et sévères études. C’est pourquoi je me trouve avoir la main assez forte pour plier la note comme il me plaît, et assez sûre pour obtenir ordinairement les effets que je désire. Quand j’écris quelque chose d’irrégulier, c’est que la règle ne me donne pas ce que je veux et que je ne crois pas bonnes toutes les règles adoptées jusqu’à présent. Les traités de contrepoint ont besoin d’être réformés. »

Dans le désordre des idées musicales, au milieu d’un conflit qui rappelait quelquefois, peut-être même avec plus de vivacité, la querelle des Anciens et des Modernes, Verdi se gardait de tout excès, de tout égarement. Son respect, son amour du passé, ne le rendait point injuste pour le présent, ni défiant envers l’avenir. Mais plutôt il écartait ces vocables et se plaçait en tout sub specie æternitatis : « Par conséquent, écrivait-il un jour, ni passé, ni avenir. Il est bien vrai que