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Génie et caractère indépendant avant tout, Verdi prétendait ne laisser interdire aucun genre de musique au musicien qu’il était, et moins encore à la musique même. Il n’en est pas moins certain que le sentiment du théâtre, du drame, constituait le fond et l’essence même de ce génie. Dès 1848, pressé par les circonstances d’écrire un opéra, il demandait à l’un de ses librettistes « un drame court, de beaucoup d’intérêt, de beaucoup de mouvement, de beaucoup de passion, afin qu’il me soit facile de le mettre en musique. » En 1854 : « Je mettrais en musique avec la plus grande assurance un sujet qui m’irait au sang, fût-il condamné par tous les artistes comme anti-musical. » Ce prétendu musicien de romances, cavatines, cabalettes et autres formules sans rapport avec l’action et le caractère, avec la parole, avec la vérité, s’est constamment préoccupé de conformer, de soumettre sa musique à ces élémens, qui devaient, selon lui, dans le « dramma scenico-musicale, » commander à la musique même. Proposant au librettiste d’Aida l’adoption, dans un certain passage, d’un dialogue entièrement libre, il ajoutait : « Je sais bien ce que vous allez me dire : Et la rime, le vers, la strophe ? Je ne sais trop que dire à mon tour ; mais moi, quand l’action le demande, j’abandonnerais soudain le rythme, la rime, la strophe ; je ferais des vers brisés, afin de pouvoir dire clairement et nettement ce que l’action exige. Malheureusement, au théâtre, il est quelquefois nécessaire que poètes et musiciens aient le talent de ne faire ni poésie, ni musique. » Tel était le respect, l’amour de Verdi pour la justesse de la déclamation, pour la vérité de l’expression verbale, qu’il redoutait, — avec raison, — la traduction de ses ouvrages. Quant à la nature même du drame lyrique, à sa consistance, à son homogénéité, la lettre suivante nous fait connaître l’idée que s’en faisait le musicien (et cela dès 1858). Il s’agit du Ballo in maschera, que le San Carlo de Naples se préparait alors à monter, ou, plus exactement à démonter : « Je vous l’ai déjà dit, je ne veux pas commettre les monstruosités qu’on a déjà commises ici dans Rigoletto. Elles s’accomplissent parce que je ne puis les empêcher. Rien ne sert de me parler du succès : que par-ci par-là un morceau, quelconque, ou deux, ou trois, soient applaudis, cela n’est pas. suffisant pour former le drame musical. En fait d’art, j’ai mes idées, mes convictions très nettes, très précises, et je n’y puis, je n’y dois pas renoncer. » Ainsi, dans le drame, dans les caractères, dans la poésie et dans la musique, en tout cela, comme les grands artistes, les plus grands. Verdi n’a jamais cherché, voulu que la vérité. Sans doute il y a tendu par des moyens tout autres, contraires même à ceux qu’un