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Le jeu des passions, le gouvernement de la raison, les fantaisies du caprice, l’empire de la volonté, c’est l’ample comédie à cent actes divers dont elle n’est jamais lasse. Hommes et femmes, quiconque écrit ou cause, s’enrôle pour mener, par les moyens qui lui sont propres, cette enquête jamais terminée. L’Église a donné le signal par l’analyse déliée de ses Lettres spirituelles et par la solide étude des vertus et des vices qui sert de base à son éloquence de la chaire. Les mondains s’y sont mis et La Rochefoucauld serait un autre Nicole, s’il était ennuyeux. Les femmes ont une finesse qui leur est naturelle un don de deviner les choses, et de les apercevoir surtout quand on les leur cache, sans compter qu’elles seules entendent certains battemens du cœur. Et tout le produit de cette immense investigation, ce que l’observateur mondain met en maximes, l’orateur chrétien en périodes, la romancière ou l’épistolière en récits ou en traits piquans, aboutit au théâtre où l’auteur dramatique l’incarne dans ses personnages : le Misanthrope évoque les salons et la Cour, Phèdre la France janséniste, — et les Fables toute la France.

En se livrant d’ailleurs à ce travail jamais fini de recherche psychologique, notre littérature classique n’obéit pas au désir de satisfaire une vaine curiosité. Savoir pour savoir n’est pas du tout son fait. L’analyse, telle qu’elle la pratique, n’a rien de commun avec ce dilettantisme égoïste qui énerve l’action. La connaissance de notre nature lui semblerait le plus stérile des divertissemens, si elle n’était pas la préface d’autre chose qui la continue, mais en la dépassant. En d’autres termes, le Français n’est psychologue que pour devenir moraliste. Il a la vocation de l’enseignement et le goût de l’action. Il veut se communiquer à autrui, se rendre utile au plus grand nombre possible de ses semblables, agir sur eux et que ce soit pour le bien de tous. Ces maladies de l’âme qu’il décrit si minutieusement, il ne lui suffit pas de leur donner un nom, fût-ce un nom tiré du grec : il veut les guérir. Cette condition humaine que chacun porte en soi, il ne se contente pas de la déterminer : il a l’ambition généreuse de l’améliorer. C’est pourquoi dans son étude de l’homme il s’attache à ce qui est le plus général, commun à tous les pays et à tous les temps. Il se méfie de ce qui est uniquement individuel ou même exceptionnel. Au surplus, ici comme partout, il a pour guide et pour règle son bon sens. Le but qu’il propose à l’homme n’a rien d’excessif et d’anormal : c’est tout uniment de remplir sa définition, mais de la remplir tout entière. Il ne flatte pas son orgueil par la chimère d’une grandeur démesurée : il ignore ce rêve de maniaque qui va fabriquant