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venues enrichir, et sous les modes passagères on retrouve les traits essentiels. C’est ce que j’essaierai de faire ici, en manière de Préface aux représentations annoncées.

Entre toutes les « Journées » je ne cacherai pas que la première me paraît tout particulièrement une bonne journée. Elle comprend : « La Vraie farce de Maître Patelin, pièce en trois actes ; poésies de Villon, Malherbe, Clément Marot, Ronsard, Alain Chartier ; fragmens de Robert Garnier et de Jodelle ; le Dialogue amoureux de Clément Marot. » Encore faut-il ajouter « une Chanson de geste faisant partie de la Chevalerie de Vivien, mise en action par l’éminent écrivain, M. Joseph Bédier, intitulée Chevalerie. » Cela fait une journée très chargée. L’encombrement occasionne toujours quelque désordre : les grands écrivains se sont placés au petit bonheur. Malherbe s’est égaré entre Villon et Marot : le pis est que, de son vivant, il les exécra l’un et l’autre. Ronsard est arrivé avant Alain Chartier : déjà ! C’est qu’ils sont trop, et on a voulu les avoir tous. Les organisateurs du spectacle se sont montrés des plus accueillans. Je leur en sais beaucoup de gré. Ils ont eu cette idée heureuse, originale à force d’être juste et hardie à force d’être simple, que, pour les peuples comme pour les gens, l’enfance et l’adolescence ne sont pas négligeables : c’est là que se révèle la nature première, c’est alors que se forme le caractère. Ils ont pensé que, dans l’histoire d’une nation, les origines comptent, surtout quand ces origines s’étendent sur plusieurs siècles débordans de vitalité. Donc, ils ont fait au moyen âge et à la Renaissance place, — une petite place, — mais c’est déjà bien joli de leur en avoir fait une.

Toutes nos histoires de la littérature traitent sommairement du moyen âge. C’est justice. La langue était encore informe et il faudra attendre jusqu’au XVIe siècle pour qu’elle acquière les qualités des langues littéraires. Le vieux français nous est devenu aussi lointain que le grec ; nous ne lisons plus les œuvres écrites dans cet idiome balbutiant : romanum est, non legitur. Elles sont objet d’érudition ; nous n’en recevons pas le contact direct ; nous ne les connaissons que par ouï-dire, par le témoignage de ceux qui s’y sont aventurés. Mais les sentimens qui s’y exprimaient avec tant de gaucherie n’en étaient pour cela ni moins forts, ni moins puissans. Ce sont ceux-là mêmes qui constituent le fonds premier, l’essence irréductible de notre idéal français. Parce qu’il ne s’est pas trouvé d’écrivains pour les amener à la vie littéraire, nous risquons de ne pas leur attribuer l’importance qu’ils ont eue réellement dans la