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gare transformée en une mer humaine, et nous pouvions descendre respirer un peu. Le temps était superbe, la matinée d’une splendeur exaltante... Mais on repartait, la route ne devait plus être que de peu d’heures, et qui aurait pu dire, à ce moment, toutes les impressions intimes et toutes les secrètes pensées de chacun ?

Appartenant à des mondes sociaux séparés par des abîmes. ne s’étant jamais vus et ne devant jamais se revoir, ne songeant même pas à connaître leurs noms, des voyageurs, cette nuit-là, s’étaient cependant reconnus comme enfans de la France, et sentis frères et sœurs pour un instant... En approchant de Paris, on se mit à faire ses paquets, et les deux ouvrières voulurent absolument aider les autres voyageuses à quitter leur manteau de route pour mettre leur manteau de ville.

— Tiens, Georges, disait en même temps l’ouvrier, descends donc les sacs de ces dames... C’est un peu lourd, et ces diables de filets sont tellement hauts !... Mais toi qui es grand...

Quelques minutes plus tard, nous étions en gare d’Austerlitz.

— Adieu, madame... Adieu, mademoiselle... Adieu, monsieur, dirent alors gracieusement ces dames.

Et chacun se tendit la main et se la serra, en sentant, tout au fond de soi, et peut-être au bord de ses yeux, quelque chose qui n’était pas loin de ressembler à de l’émotion...


MAURICE TALMEYR.