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cape d’où se répandait un léger parfum, et assez large, en effet, pour s’étendre sur deux personnes...

Malgré la gêne et l’entassement, nous avions tous fini, quelques instans après, par tomber de sommeil. A un arrêt, je me réveillai. Il était trois heures du matin, et la sonnerie du télégraphe tintait dans le silence de la petite gare. Le train repartit. Il faisait une nuit merveilleuse, où le paysage défilait sous un de ces éclatans et mystérieux clairs de lune par lesquels on y voit comme en plein jour. Mais une invincible somnolence m’avait vite refermé les yeux. Lorsque je me réveillai de nouveau, tout le monde dormait toujours autour de moi. Le jeune homme était seulement venu reprendre sa place, où il partageait à son tour la chaude cape de voyage, et le jour commençait à poindre.

Nous traversions les grandes plaines qui conduisent à Orléans, et le ciel était encore rempli d’étoiles, mais elles pâlissaient peu à peu. Une faible lueur verdâtre se levait à l’Est, au delà de grandes vapeurs grises d’où elle ne semblait pas pouvoir sortir, et où elle passait lentement d’une nuance à l’autre. Puis, les vapeurs elles-mêmes se teintaient, d’abord de mauve, puis de rose, puis de feu. Graduellement, en même temps, les meules, les maisonnettes, les bouquets de bois, les cahutes de bergers, surgissaient de terre, s’y modelaient, s’y précisaient, et tout au loin, une moitié de globe rougeâtre, qui se changeait bientôt en un demi-globe de sang, émergeait tout à coup au ras de l’horizon. Dans le compartiment même, à cet instant, un léger et frais gazouillement se, faisait entendre. C’étaient les bengalis qui s’éveillaient dans leur cage. Et le globe rouge montait dans les nuées orangées, y grossissait, s’en élançait, les incendiait, devenait éblouissant, et baignait, inondait, et dorait tout de sa lumière... Là-bas, dans d’autres plaines, en Champagne et en Flandre, où tonnait la mitraille, où les morts tombaient sur les morts, sur quelles scènes de gloire et quels tableaux de carnage se levait, au même moment, ce magnifique soleil d’or ?...


Le subit fracas du train passant sur le pont de la Loire me tira de ma contemplation et, quelques minutes plus tard, nous arrivions aux Aubrais. Chacun, alors, se réveillait. Pour la première fois depuis notre départ, nous n’apercevions pas une