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nous disons aussi, mon mari et moi... On est meilleur... Et ce réveil religieux ! On peut bien dire aussi que c’est heureux... Notre fils nous a écrit qu’il avait assisté à une messe au camp, et qu’il n’avait jamais rien vu de si beau... Avant la guerre, on n’allait presque plus jamais dans les églises, et c’était un tort... A présent, elles sont toutes pleines... Ah ! mon Dieu, et puis, tenez, madame, j’espère bien aussi qu’après cette guerre on nous laissera tranquilles avec la politique, et qu’on n’en entendra plus parler autant ! Elle aura fait assez de mal comme ça... Nous ne sommes que des ouvriers, madame, mais tous les bons ouvriers, et c’est la majorité, étaient bien fatigués de toutes ces histoires et de toutes ces disputes... On se mangeait, c’est le cas de le dire, et à quoi ça servait-il ? Qui est-ce qui pouvait bien en profiter ? Est-ce qu’on n’est pas tous, tant qu’on est, les enfans d’un même pays ? Est-ce que, riches ou pauvres, et les uns comme les autres, on n’est pas tous des Français ?... On le voit bien maintenant, et tout le monde le reconnaît bien !... Mon Dieu, mesdames, je pense bien que je ne vous blesse pas ?...

— Mais pas du tout !

— Mais au contraire !

— Mais tout ce que vous dites est la vérité même... Et dans quel métier est votre mari ?

— Mais dans la bâtisse, madame... Il est surveillant de travaux.

— Alors, la guerre doit être terrible pour lui... Elle doit vous faire perdre énormément ?

— Mais oui, madame, on ne fait plus rien, c’est la ruine... Mais il faut bien aussi le supporter. Quand tout le monde doit souffrir, il faut bien souffrir aussi... Et heureusement encore pour nous que nous ne sommes pas tout à fait sans rien !... Depuis le temps que nous travaillons, nous avons pu faire quelques économies... On doit toujours en faire, n’est-ce pas, et à ce point de vue-là nous ne sommes pas encore des plus malheureux.. Mais pour ce qui est des travaux, on n’en verra plus de sitôt. Et qui est-ce qui les ferait ? Les deux tiers des ouvriers sont partis... Comme dit mon mari, à la paix on sera bien forcé de rebâtir, mais, pour l’instant, il n’y a plus rien à faire. Aussi, c’est bien pour ça que nous étions venus par ici. Mon mari a dit, le mois dernier : « Tiens, voilà assez longtemps que nous promettons à nos parens d’aller faire un tour chez