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devant l’élégant attirail des deux mondaines qui avaient enlevé leurs gants et découpaient sur leurs genoux, de leurs belles mains blanches où brillaient des diamans, leurs pâtés et leurs volailles avec de jolis couteaux. Puis, leur repas fait, ces dames ouvrirent un autre panier, en retirèrent des raisins, en offrirent aimablement à tout le monde, et les ouvrières, cette fois, en acceptaient.

— Et votre mari, madame ?

— Et votre père, mademoiselle ?

— Est-ce qu’il n’en prendrait pas un peu ?

— Si vous l’appeliez ?

— Papa, appelait alors la jeune fille, veux-tu du raisin ?

L’ouvrier faisait d’abord un geste d’excuse, mais se retournait, nous voyait tous avec nos grappes, et consentait à prendre aussi la sienne,

— Et lui ? disait ma voisine en montrant le jeune homme.

Mais toujours endormi et pâle, ses grandes mains allongées sur ses grandes jambes, il ne bougeait pas, et sa mère répondait, en remerciant encore :

— Oh ! lui, mesdames, il dîne à sa manière !... Mais, vraiment, mesdames, vous êtes trop bonnes, vraiment trop bonnes... Merci... Merci...

Et on reparlait de la guerre.

— Vous avez sans doute quelques-uns des vôtres au service, et peut-être même au feu ? demandait l’une des mondaines à la mère avec sympathie.

— Mais notre fils aîné, madame... Le second, celui qui est là, a été réformé, mais l’aîné faisait son temps à la déclaration de guerre... Il est maintenant sur le front.

— Vous devez être bien inquiète ?

— Mon Dieu, oui, madame... Mais, quand même, nous ne nous plaignons pas, et il ne se plaint pas non plus... Il faut bien que tout le monde fasse son devoir... Il était à la victoire de la Marne.

— Il doit en être glorieux.

— Mais nous aussi, madame !

— Oui, c’est le bon côté de la guerre, elle exalte les beaux sentimens.

— Mais parfaitement, madame, et c’est précisément ce que