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marque d’attention, mais répondait que son fils était seulement fatigué.

— Merci, madame, disait-elle avec gratitude, merci bien... Mais voyez... Il dort... Le sommeil le remettra... Merci bien, madame, merci bien !

Puis, une minute après, l’autre voyageuse redressait sans rien dire l’appui-bras où elle s’accoudait, se levait, allait dans le couloir, en ramenait la jeune fille toute rouge de reconnaissance, et lui faisait une place auprès d’elle.

— Tenez, mademoiselle, mettez-vous là...

— Oh ! madame !

— Si !... Si !... Mais si !... Vous allez vous mettre là... Vous ne pouvez pas rester dans ce couloir pendant quinze heures !

Et la mère remerciait encore avec effusion, se serrait un peu contre moi, et je me poussais moi-même un peu plus dans mon coin...


Le cadran d’une petite gare où nous venions encore de nous arrêter marquait neuf heures, et ces dames ouvrirent un panier d’où elles tirèrent successivement des assiettes et des serviettes, des fourchettes, des timbales, toute une commode et ingénieuse vaisselle de route, puis du pâté et de la volaille.

— Madame, dit à l’inspectrice anglaise la voyageuse placée vis-à-vis d’elle, n’accepterez-vous pas quelque chose ?

L’Anglaise ne refusait pas, mais se levait, malgré la difficulté qu’elle avait à le faire, prenait elle-même un assez gros panier où ne manquaient pas non plus les provisions, et, à son tour, les offrait en riant à ces dames. Ces dernières, alors, riaient aussi et se tournaient ensuite vers la bonne femme et sa fille :

— Vous ne voudriez pas cette petite aile de poulet, madame ?

— Et vous, mademoiselle, un peu de ce pigeon ?

La mère et la fille remerciaient, de plus en plus confuses, mais elles avaient pris leur repas avant de s’embarquer, et leurs hommes l’avaient naturellement pris avec elles. Quant à moi, je m’étais déjà réconforté par mon sandwich, et l’inspectrice et ces dames commençaient seules à dîner, sous les yeux naïvement ébahis des ouvrières dont l’admiration se cachait mal