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Un monsieur, d’ailleurs fort correct, se présentait en effet à l’entrée de notre compartiment, mais nous saluait profondément, et nous demandait, avec un fort accent anglais, si nous ne pourrions pas disposer d’une place pour une dame inspectrice des ambulances anglaises... Une aussi grande courtoisie nous annonçait une voyageuse dont la compagnie ne pouvait manquer d’être encore une bonne fortune et, sur notre réponse affirmative, l’Anglais s’inclinait de nouveau en nous remerciant, puis revenait accompagné d’une dame dont l’extrême embonpoint gênait légèrement la démarche, mais d’une grande et avenante jovialité de figure. Elle était coiffée, sur cette bonne rondeur de physionomie, d’une pittoresque coiffure violette tenant du béguin et du capulet, et dont les pans lui retombaient sur les épaules. L’Anglais l’installait dans le dernier coin resté libre, l’aidait avec déférence à ranger ses sacs et ses paniers dans le filet, la saluait, nous saluait ensuite, et se retirait. Fort poliment, elle nous remerciait alors de l’avoir accueillie, et s’exprimait d’ailleurs assez difficilement en français, mais en riant elle-même de s’y exprimer aussi mal.

Il y avait encore une bonne demi-heure d’arrêt, et c’était plus qu’il n’en fallait pour une invasion, mais personne ne se montra plus. La nuit tombait, le train se mit en marche, la lumière électrique éclaira le compartiment, et nous avions tous un sourire, en nous revoyant, à la pensée des petites transes par lesquelles nous avions passé.

— Eh bien ! ma chère, disait ma voisine à son amie, nous avons décidément un bonheur inouï et nous allons faire un voyage charmant !

— Tu crois qu’il ne nous arrivera plus personne d’ici Paris ?

— Mais peut-être... Qui sait ? Croyez-vous, monsieur, que nous soyons encore très menacés ?

— Je le crains, madame... Il y a encore Châteauroux, Vierzon...

— Et vous, madame, continuait-elle en s’adressant à l’Anglaise, qu’en pensez-vous ?

Mais l’Anglaise, dont l’excellente figure suivait la conversation avec sympathie, répondait, en s’excusant, qu’elle ne pouvait rien savoir. Puis, elle ouvrait un sac posé à côté d’elle, en tirait deux ou trois lettres, et nous priait de les lire. C’étaient des attestations d’ambassades ou de consulats établissant