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l’extase mystérieuse est d’un blanc éclatant : on y contemple les anges.

« L’extase d’obsession a la couleur des miroirs limpides : on y ressent un délicieux ravissement d’esprit.

« Enfin la béatitude, dont les lumières sont vertes et blanches et subissent des transformations successives jusqu’à prendre une teinte qui est sans similitude avec aucune autre, sans nulle ressemblance.

« Alors Dieu se dévoile ; on entend les paroles rapportées dans le récit de la tradition : « Je l’ai entendu. Il ne reste plus que la vérité. »

Sur cette donnée insubstantielle, s’établit la hiérarchie mystique. Pour le mourid (l’initié) du premier degré, le mode de prière, le dikr, est renonciation d’un axiome complet et clair : « Il n’y a de divinité que Dieu. » Le mourid s’en nourrira, il la répétera trois cents fois en hadra avec ses frères ; elle est l’étoffe encore palpable de son rêve. Pour l’Arif, pour celui qui a commencé l’ascension, le dikr est limité au seul nom d’Allah. Pour le Mouhid, l’Unitaire, le nom même est superflu. Le souffle emporte l’âme, déchire et détruit l’étoffe encore sensible aux sens : le cri bref d’extase est la seule manifestation permise à la voix humaine, car donner un nom au Créateur, c’est encore le séparer de sa créature. Celui qui est entré dans l’Un n’a plus à prononcer qu’un pronom : Lui, Lui, qui se confond avec l’autre pronom : Moi, Moi. Et enfin il y a le dikr de l’Amant. Celui-là aucune oreille humaine ne le perçoit. Il est révélé au cœur. C’est la mort en Dieu. Le Mohib oublie sa personnalité : toute l’étoffe corporelle a disparu. Il est confondu dans l’Un, emporté dans l’Infini : son âme s’évade, il ne perçoit plus, dans son corps prostré, que la sourde sensation du néant.

Ainsi, de degré en degré, la doctrine au lieu de s’élargir et de s’expliquer, se rétracte et s’évanouit. Voilà le trait commun à presque tous les rituels des confréries. L’enseignement s’est réduit à une prière qui harcelait le Ciel, la prière en un cri et le cri s’éteint dans la mort. La pensée se ferme et meurt comme une plante sans nourriture.

Suivons un instant le khouan dans cette voie du désert, flamboyante et vide, où les pas humains s’épuisent, mais au fond de laquelle, derrière ses maîtres et ses frères, le khouan de ses yeux avides voit de glorieux mirages. Prenons-le dans une