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d’enfans. Une transparente allégorie reflétait la terre dans le ciel et une concordance se créait entre le visible et l’Invisible.

Et quand les dieux s’écroulèrent, ce fut l’idéal moral qui fut transformé ; mais le mode naturel par lequel l’homme s’attache, se lie à un Dieu semblable à lui, se perpétua. Au lieu de l’homme fait dieu, avec ses infirmités, ses caprices, on adora le Dieu fait homme, apportant à la terre la perfection de la bonté et de la charité, et le nouveau croyant, en se détachant des idoles, put encore attacher sa vie, son âme, son regard intérieur à une réalité sensible. Cette réalité était à la fois idéale et véritable, et la doctrine rédemptrice qui sauvait l’homme de la douleur par la douleur se modelait sur le vrai. Au lieu des dieux heureux et insensibles, elle lui donnait le Dieu souffrant et encore vulnérable qui ressent le mal comme une douleur. L’Evangile se conformait à la vie, épousait l’âme, en donnait une empreinte pure et parfaite. Pas un trait n’était oublié. La nouvelle Image portait cet infini de souffrance où tout homme se reconnaît. A l’enfant faible et tendre, elle répondait par la faiblesse abandonnée de l’enfant couché dans l’étable ; au jeune homme inquiet qui cherche une voie elle montrait l’étoile qui mène à Bethléem ; à celui qui sent chanceler et tomber près dé lui ceux qu’il aime et qui s’effraie de sa solitude elle offrait le recours au Père qui est dans les cieux ; à l’artisan, elle montrait le divin charpentier ; aux rois de ce monde, le Roi doux et parfait des âmes. Pour les tentés, il y avait le souvenir de la Tentation auguste ; pour les affligés, les méconnus, le souvenir d’une ingratitude et d’une passion qui dépasse toute souffrance. Comme le Christ avait collé ses lèvres sur les plaies de l’humanité, l’humanité rachetée pouvait à son tour coller ses lèvres sur les plaies du Sauveur et, si Dieu avait eu pitié des hommes, les hommes pouvaient s’agenouiller devant l’image souffrante de leur Dieu.

Et cette Image, les croyans l’avaient fixée sur la toile, sur le bois, sur la pierre. Le fidèle ressemble à Thomas. Il dit, lui aussi : « Seigneur, si je ne mets mes doigts dans vos plaies, je ne croirai pas. » Pour ce fidèle, l’idée chrétienne prenait un corps. Sans déformation essentielle, chaque génération la retrouvait telle que les morts l’avaient adorée, à peu près pure et toujours compréhensible. Si le pâtre ne dépassait guère la notion du bon pasteur qui tient sa brebis embrassée, du moins entrait-il dans