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derrière lui la terre, pour s’élancer dans le ciel à la recherche d’un bien et d’une splendeur sans nom. Comment atteindre cet Inconnaissable que les yeux du corps ne peuvent se représenter, cet Insensible qui n’a jamais souffert, ce Tout-Puissant qui ignore la faiblesse ? Comment entrer dans la contemplation de son Unité ? Aucun colloque intime ne peut s’établir avec cette unité sans substance, aucune méditation n’abolira l’incommensurable distance qui le sépare de la chétive et sauvage créature qui le poursuit : sauvage, c’est-à-dire inculte, à peine dégagée de la nature. Cet Inconnaissable est partout et il n’est nulle part, retiré derrière les soleils qui ne sont que les parcelles de son unité, épars sur la surface scintillante des eaux, flamboyant dans la lumière où resplendissent les sables du désert et où, dans les plaines, se torréfient les moissons. Les calamités qui accablent les hommes sont l’effet de sa volonté. Aucune supplication n’en détournera le cours. Il n’a pas pitié. Insaisissable, quel culte intime lui rendra celui qui ne se contente pas du culte pratique, des brèves prières commandées et des ablutions rituelles ? Le mystique, celui qui veut voir l’Invisible et sentir l’Insensible n’aura qu’un recours : ses lèvres s’ouvriront, timides, pour prononcer le nom ineffable ; le maître soufiste leur enseignera les versets où le nom répété cent fois, deux cents fois, six cents fois sans interruption emportera l’âme comme un souffle puissant et la lancera dans les sphères. Ce nom, multiplié comme une image dans des miroirs, allumera dans le cœur, dans les sens, l’étincelle du feu pur qui grandit, anéantit la matière, libère une intention éternelle d’adoration. En répétant ce nom, le fidèle ne trouvera pas la satiété, mais l’ivresse. Ce nom, c’est la seule forme sensible de cet Infini qui ne s’épuise pas. Petite poussière humaine, celui qui le redira sera emporté loin de ce monde dans le tournoiement immense des sphères : le nom inépuisable, mêlé à chaque battement de ses artères, l’associera à la vie universelle émanée de l’Un ; parcelle perdue de l’Unité, ii rentrera dans le sein du Tout-Puissant, il s’incorporera à lui, comme un corpuscule de feu dans un soleil. Ce nom de Dieu qui exprime à la fois toutes les perfections, toutes les idées, toutes les forces, il en dénombrera indéfiniment les attributs ; il les glorifiera ; chaque louange nouvelle sera une lumière nouvelle sur la voie de l’Infini. Dans cette perspective