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de graves événemens, jeta l’alarme parmi nous. Les gazettes du pays ne nous renseignaient point.

Les journaux de Paris ne nous parlaient encore que du procès Caillaux. Dans la clinique, je fis part de mes inquiétudes au Dr W..., mais je le trouvai fort tranquille et il m’affirma qu’il serait le premier, si elles existaient, à être informé de telles éventualités, relié qu’il était par le téléphone à tous les parens des souverains installés autour de lui. Il venait précisément de recevoir le grand-duc de Mecklembourg et sa suite. Les grands-ducs Constantin de Russie avec leurs enfans demeuraient paisiblement dans leur villa et la sœur de l’empereur Guillaume se préparait à recevoir chez elle, pour y faire un séjour, une Parisienne notable. Néanmoins, parmi les étrangers, la nouvelle de la dépêche circulait et on l’avait commentée toute la soirée, lorsque le lendemain, au moment où le jeune homme s’apprêtait à partir, un autre télégramme tranquillisait pleinement la société,

La situation s’était rassérénée. Sous les allées de la promenade, dans les salons de la clinique, on se félicitait du danger écarté et, le même soir, on fêta avec une sérénade l’arrivée d’une dame italienne, la comtesse L... Le matin, j’avais l’habitude d’aller, avec lady G..., dans un jardin anglais réservé, le square Sainte-Elisabeth, où les enfans du grand-duc Constantin se promenaient en canot sur de jolis étangs. Les cygnes blancs venaient au rivage et happaient, auprès de l’embarcadère, le pain qu’on leur jetait. Ce jour-là, 25 juillet, le dimanche avant la mobilisation, on voyait, comme d’habitude, passer derrière les haies les paysannes couvertes de leur ample pèlerine de bergère, qui allaient aux offices dans l’église évangélique élevée sur les hauteurs du parc. Les cloches sonnaient et l’idée me vint de m’y rendre également. En pénétrant dans l’édifice qui était déjà bondé, j’aperçus la grande-duchesse de Russie au premier rang, fort simplement vêtue de noir. Je m’installai dans un banc. On avait commencé à chanter des cantiques qui alternaient avec des prières, lorsqu’on s’aperçut autour de moi que je n’avais pas de livre de chant. Une petite fille sortit de sa rangée et, selon un aimable usage d’autrefois, elle m’offrit le sien, je l’acceptai et à la page que j’ouvris, je trouvai un signet naïvement orné sur lequel je lus : « Tu aimeras ton prochain plus que toi-même... »

A ce moment, un jeune pasteur monta en chaire et annonça que des nuages de guerre étaient de nouveau lourdement suspendus