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d’État, il posait pour un sculpteur officiel, qui terminait le profil du prince, en cire, pour la nouvelle monnaie. Cette séance, dans ce décor fastueux, me reportait bien loin de l’Allemagne de Krupp, à l’époque des Duchés du Saint-Empire romain où la vie était encore si douce et si facile, malgré le morcellement infini des Etats qui élevait une barrière douanière à chaque carrefour et un guichet sur chaque pont de bois ! Devant le chevalet du sculpteur, je crus devoir rendre la liberté à la Dame du palais, qui accepta avec dignité la fin de sa pénible corvée. Puis, j’allai seul visiter la ville. A mon retour, je m’engageai dans les chemins publics du jardin ducal et enjambai sans façon les cordons tendus, pour me rendre sur la terrasse réservée devant le château. Mais à peine avais-je fait quelques pas qu’un policier en civil se précipita sur moi et me fit comprendre mon sacrilège. Lorsqu’il apprit mes droits de stationnement, il se dressa dans une attitude militaire et, le visage cramoisi, il prononça des paroles accablées de confusion.

Après le thé, les Princes devant se rendre également à Liebenstein, je les suivis à travers leurs Etats. En parcourant la ville, je remarquai que des groupes d’ouvriers s’abstenaient volontiers de saluer leur duc. Celui-ci, indulgent, m’expliqua que les populations industrielles étaient légèrement entamées par l’esprit nouveau, mais cette observation faite en sa compagnie soulignait pour moi l’apparente opposition entre l’aristocratie militaire et l’industrie démocratique que l’on croyait à jamais séparées et dont la coalition devait se faire si rapidement. Le prince me dit aussi que la Prusse avait, sur la Saxe, l’avantage d’un loyalisme plus stable, et ce fait fut bientôt confirmé, dans la guerre, par l’attitude de la Garde prussienne.


De retour à Liebenstein, j’eus cette fois comme voisin de chambre le comte de B...-L..., sénateur belge et ancien gouverneur de la province d’Anvers. Avec ce galant homme, j’échangeai parfois, le soir, des vues sur la situation politique. Sa parfaite sérénité ne se préoccupait encore que des luttes locales entre catholiques et libéraux, et je ne lisais dans son esprit que le souci de faire triompher la bonne cause. Mais, brusquement, une dépêche qui rappelait le jeune de N... en France, en raison