Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers un petit kiosque. Ombragé de grands arbres et entouré d’eau, ce terre-plein formait un îlot dans le parc réservé qui, chaque année, par les munificences successives du vieux duc au profit de ses sujets, s’était réduit au point de n’être plus qu’un passage à travers le domaine municipal. J’avais remarqué que notre promenade, depuis le perron du palais jusqu’à l’ile, avait été marquée de cordes tendues à travers les chemins et, à mon étonnement, j’aperçus, au delà de ces fragiles barrières, des passans, des curieux, qui stationnaient sur la voie publique pour nous dévisager. La duchesse m’expliqua cette particularité sans approuver ces droits établis. En réalité, la Cour vivait dans la rue et aucune intimité n’était permise à ces hauts personnages qui s’agitaient dans une maison de verre, sous les yeux du premier venu. Il est vrai de dire que les sujets n’abusaient point de cette licence et la sécurité des souverains était, avec ce système de cordes, parfaitement assurée. Là aussi, on pouvait voir à quel point ce peuple subissait encore des lois séculaires, et son respect rappelait celui de Venise où, sur la place Saint-Marc, un simple cordon de soie rouge maintenait, aux grands jours de fête, un peuple innombrable.

Les Princes m’invitèrent à venir dans ce minuscule pavillon baigné d’eau et coquettement aménagé, pour que trois ou quatre personnes pussent se sentir comme dans une cabine. Pendant une heure ils causèrent d’abord de Paris, que la duchesse, lors d’un récent séjour, avait trouvé possédé d’un véritable délire de danse : elle y voyait des symptômes inquiélans pour notre pays. On parla, ensuite, de la guerre des Balkans, de ses affreuses méthodes de combat, de ses massacres... Les Princes évoquèrent la singulière silhouette du roi Ferdinand et rappelèrent avec sympathie une visite que le tsar Nicolas leur avait faite récemment, sur le ton des relations de famille parfaitement cordiales. Pas la moindre ombre ne s’était donc glissée encore dans ces rapports de parenté, et ces assurances m’étaient un nouveau gage de paix à la veille même de la guerre.

Après cette station dans le pavillon de l’ile, on me proposa « le tour du propriétaire » et la visite des œuvres d’art que contenait le palais. Pendant que le duc allait, à l’occasion de son avènement, préparer son discours du trône, devant la Diète de la Principauté qui s’assemblait le lendemain, la duchesse me guidait dans les nombreuses salles où le souvenir de sa