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désirais connaître, les princes me demandèrent à cette occasion de visiter leur palais, où les nombreux souvenirs historiques de la cour d’Angleterre et de Prusse, et en particulier de la reine Victoria, pouvaient intéresser un écrivain et un artiste. On fixa aussitôt ce déplacement au lundi suivant, et la princesse m’engagea à venir à une heure pour le déjeuner. La soirée s’acheva, sans que la situation extérieure fût l’objet du moindre commentaire. Les esprits, entièrement rassurés, étaient tout aux plaisirs de la saison. Après dîner, les altesses se rendirent à une salle, élevée plus loin dans les jardins, où, les samedis soir, la société se réunissait pour danser. L’édifice avait été préparé pour que les princes pussent assister à une séance de films, reproduisant les phases des cérémonies et des cortèges à l’occasion des funérailles du vieux duc. Nous nous y rendîmes à pied, au milieu des ténèbres, à travers les allées humides des pluies récentes, sur une route qu’on venait d’empierrer, et qui était encore pleine de fondrières. La duchesse marchait en tête, guidée par le directeur des Bains, qui avait organisé ce spectacle. On arriva dans la longue salle déblayée et plongée dans l’obscurité. Devant un immense écran, des fauteuils étaient placés pour les seuls convives du dîner russe. Puis, les films se mirent en mouvement. D’innombrables représentans de la Thuringe loyaliste, corporations, écoles, fanfares, portant des couronnes et des bannières, défilèrent ainsi sous nos yeux, y compris les princes eux-mêmes, qui se reconnurent avec toute leur suite, désignèrent des notabilités, reconnurent des amis et les nommèrent. Parfois, le mouvement étant trop précipité, on transmettait à l’opérateur des ordres de ralentissement, jusqu’au moment où celui-ci eut réglé la marche sur le rythme obligatoire de ces sortes de solennités. La soirée s’acheva ainsi dans l’évocation de ces fêtes funèbres, à laquelle la présence des princes prêtait un intérêt singulier. Le duc exprima à l’organisateur sa parfaite satisfaction, et la Cour repartit, la nuit même, pour sa résidence.

Le lundi suivant, je me rendis à Meiningen. Mais l’automobile du docteur W..., qui devait m’y conduire, étant en retard pour avoir amené une grande-duchesse de Russie à la gare d’Eisenach, le chauffeur, un Français qui ne savait pas l’allemand, dut brûler les étapes et encourut plusieurs procès-verbaux en traversant des villages, sans pouvoir expliquer aux