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sur leurs épaules, de vastes hottes remplies de fleurs, au bout des terrasses italiennes. Les visiteurs s’étant souvent extasiés sur les dispositions qui perpétuaient de si aimables coutumes, on songea, aussitôt après la mort du duc, à doter la petite ville d’eaux d’un agrément semblable, et, déjà, les couturières du pays travaillaient jour et nuit, afin que cette garde-robe put être inaugurée sur les pelouses de l’hôtel pour l’anniversaire de la princesse de V..., Grecque d’origine, la mère octogénaire du praticien : élevée au Sacré-Cœur à Paris, vers 1838, elle a conservé de la France un souvenir attendri.

La dernière fois que je montai au château d’Altenstein, les jardinières accoururent, apportant dans de grands paniers plats des fleurs fraichement coupées à lady G.., que j’accompagnais. Puis, elles se groupèrent aux pieds d’une Diane chasseresse en bronze, qui, au bout d’un précipice, semblait vouloir s’enfuir dans les lointains forestiers. Elles se mirent à chanter en chœur, et, lorsque nous remontâmes en voiture, toutes se groupèrent au bord du chemin, pour nous saluer au passage.

Je me souviens de ces détails avec d’autant plus de précision que, peu de semaines après, par une tragique ironie du sort, cette compagne des promenades thuringiennes devait être une des premières à souffrir des horreurs de la guerre.

La sérénité de ces derniers beaux jours devait être troublée le lendemain par des hôtes inattendus. Certes, nous ignorions encore !e rôle terrible qu’ils allaient jouer dans l’Histoire, mais leur apparition soudaine nous rappela la fragilité de ces grâces champêtres qui, pareilles à la Sonate pastorale de Beethoven, préludaient à l’orage et à la tempête...

Ce matin-là, bien avant l’heure où le Choral de Luther réveillait les hôtes du Palace, un bruit de chevaux, arrivant au galop, me tira de mon sommeil. En bas, sur le carrefour, un groupe important de cavaliers s’était arrêté, et un officier supérieur, un papier dans sa main, sa haute taille levée sur ses étriers, criait que la place était prise et que telles conditions étaient faites aux habitans, pendant l’occupation de la ville... Puis, un court commandement suivant cette proclamation, les cavaliers se dispersèrent sur les routes. On apprit, bientôt, que quarante-sept officiers d’Etat-major de l’Académie de guerre de Berlin, en tournée de manœuvres sous le commandement d’un