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ville, inaugurèrent de nouveau leurs concerts dans les allées du parc. Le pays avait eu pourtant une déception : c’est en vain qu’on avait attendu l’empereur Guillaume qui, de sa présence, devait rehausser la cérémonie funèbre. Il s’était décommandé pour raison de santé. On avait alors espéré le Kronprinz, avec moins d’impatience toutefois, car la popularité de ce prince n’avait fait, dans ces petits duchés, aucun progrès sensible depuis sa naissance.

Enfin, le Kronprinz s’étant fait excuser, à son tour, avec la nonchalante impertinence de son âge et de son caractère, le moins important et, au dire des personnes renseignées, le plus sympathique des fils de l’Empereur, le prince Adalbert, s’était finalement dévoué à représenter la maison de Prusse. La Cour de Berlin boudait ainsi, même devant la mort, au mariage morganatique du défunt, et Guillaume II protestait peut-être en même temps, comme chef de l’Empire germanique, contre l’attitude réservée de ce duc qui, seul de ses pairs, avait, en 1870, refusé de prendre une part active à la guerre contre la France. Pendant le couronnement du roi de Prusse, à Versailles, cet esprit indépendant avait, dans son théâtre de Meiningen, donné un drame qui consacrait l’héroïsme français : La Vierge d’Orléans, de Schiller, sans doute afin de protester, à sa manière, contre l’invasion de la France et la création d’un Empire qu’il s’obstinait à n’approuver point et qui avait diminué son prestige.

Le lendemain des funérailles célébrées pour le dernier représentant de l’Allemagne particulariste, le Choral de Luther continua à réveiller de ses graves accens l’hôtel somnolent ; puis, reprenant sans transition une allure plus profane, l’orchestre versa, avec des prodiges de souplesse, dans des airs de danse, sans oublier d’y mêler les hymnes des pays étrangers dont les représentans dormaient encore sous le beau toit de cuivre. L’hymne russe arrivait ainsi aux oreilles du grand-duc Constantin, la « Marseillaise » à celles des Français, qui n’y prêtaient, je crois, qu’une attention distraite.

Le comte Dr W..., le même jour, me persuada sans peine qu’il me serait agréable de faire la connaissance d’une grande dame russe, la comtesse R..., femme d’une haute distinction d’esprit qui, dans l’hôtel même, avait installé ses appartemens privés. Lorsque je pénétrai dans son salon, que précédait une