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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

garder l’indépendance et les domaines de l’Église contre les empiétemens des royautés.

En l’an 800, la Papauté restaurait donc l’Empire au profit de Charlemagne pour le service de la res publica chrétienne : le chef unique des regna de Gaule, d’Italie et de Germanie devenait le chef suprême de la chrétienté d’Occident. Cette union du Regnum et de l’Imperium établissait un dangereux cumul de besognes contradictoires : l’Empereur et Roi aurait à servir ensemble les intérêts d’une ou de plusieurs nations et ceux de toute la chrétienté, à mener les soldats et à gérer les consciences, à protéger et à diriger les clercs : toutes les monarchies, issues de l’empire carolingien, mirent de longs siècles à résoudre ce triple problème des relations que l’Imperium établissait entre eux et l’Église. Mais, outre-Rhin et outre-monts, l’esprit politique des Latins surmonta toutes les difficultés, et la France, après quelques tiraillemens, trouva la solution la plus élégante en cette « royauté impériale », comme disaient les légistes, qui, sans avoir le titre de l’Imperium, sut en acquérir tous les bénéfices et en accomplir tous les devoirs. Chef de la Croisade, fils de Saint-Louis et « évêque extérieur » en son royaume, le Capétien, fidèle serviteur de la nation française, apparut néanmoins à toute la chrétienté d’Occident comme le défenseur de la foi, de la morale et de l’Église chrétiennes, et rien ne servit les intérêts de la nation et ceux de la dynastie tout ensemble, — et ceux de l’humanité par surcroît, — autant que le rôle très chrétien de notre royauté.

En terres germaniques, l’Imperium devint un fléau pour la nation, pour les dynasties et pour la chrétienté : ni la Croisade, ni la morale chrétienne, ni la hiérarchie ecclésiastique ne rendirent à l’Allemagne les mêmes services politiques qu’à la France.

La Croisade allemande ne fut presque jamais le fait de l’Empereur. Elle n’en fut pas moins active, surtout contre les païens du Nord et de l’Est. Mais, loin de servir le pouvoir de la monarchie, elle eut pour premier résultat d’augmenter sans arrêt cette puissance des margraves, sous laquelle tombèrent l’une après l’autre les dynasties d’empereurs, au grand dommage de l’unité et de la continuité nationales. En outre, la Croisade contre les Musulmans mettait la chrétienté d’outre-monts et d’outre-Rhin en contact avec les deux civilisations