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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

mêmes semblaient méditer et désirer. Mais, toujours plus forts que la volonté de l’homme, il semble que les caprices de la roue et les résistances de la matière renouvelaient toujours la déception. Avant la Nation et la Liberté du xixe siècle, d’autres Bismarck s’étaient mis en tête de copier, sur modèle franco-italien, Je Prince et les Bureaux des Temps modernes et, auparavant encore, sur modèle gallo-franc, le Regnum et Imperium du Moyen Age ; de ces deux formes politiques, aucune ne rendit à l’Allemagne les services qu’outre-monts et outre-Rhin, ou en avait tirés ; principes d’union et de paix civile en termes latins, toutes deux ne devinrent en Allemagne que sources de discordes et de guerres.

C’est dans la Gaule romaine et chrétienne, par l’heureux mariage du Droit et de l’Écriture, qu’était né ce regnum des Francs, qui confiait au rex, au nouveau chef des nations germano-latines, tous les pouvoirs de la res publica romaine et lui assurait tout le dévouement de l’Église chrétienne. Le roi devenait le magistrat unique de la res publica pour la gérance des intérêts civils et militaires, et l’avoué suprême de l’Église pour la défense des intérêts spirituels et sociaux : ce qui caractérisa désormais le roi, ce fut le devoir de paître son troupeau de sujets, non en loup ravisseur, ni avec le bâton du brigand, mais en père de famille chrétien, avec la houlette du bon pasteur ; ce qui caractérisa la royauté, ce fut l’onction divine, accordée moins à un homme qu’à une race, et ce fut, par suite, l’hérédité du regnum au profit de la famille élue de Dieu.

Dans tout l’Occident, durant quatorze siècles, depuis Clovis jusque la Révolution française et même jusqu’à nous, la royauté remplit sa fonction nationale dans la mesure de son hérédité, et c’est la race royale, où l’hérédité était le plus étroitement fixée par la loi salique, c’est la race de France qui fut du plus grand service pour l’unité et la continuité de la nation, pour la disparition des guerres privées et la diminution des guerres civiles… En terres germaniques, le regnum des Francs demeura quelque temps une « dignité héréditaire, » dignitas hereditaria, que les titulaires entendaient transmettre à leur fils comme un bénéfice de droit divin, conféré à leur race par Dieu lui-même, regnum hereditario jure nobis collatum. Mais la Germanie ne veut jamais « détruire l’originalité et l’indépendance de ses différentes » peuplades : bientôt, chacune