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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

XVe siècles, les tragédies, petits vers et romans des xviie, xviiie et xixe ; c’est par là que toujours entrèrent en Allemagne les conceptions politiques et les usages administratifs de la France, le Regnum et Imperium carolingien, « le Prince et les Bureaux » capétiens, « la Nation et la Liberté » révolutionnaires. Tous les fondateurs d’empire allemand eurent donc à concilier leur monarchie margraviale, leur absolutisme militaire, avec cet esprit que l’Allemagne empruntait toujours aux gens d’outre-Rhin. Quand M. de Bülow constate qu’après trois empereurs Hohenzollern et cinquante années du nouvel Empire, le problème capital est encore aujourd’hui de réconcilier l’esprit allemand avec la monarchie prussienne, il ne fait qu’énoncer une de ces vérités éternelles qui, à toutes les époques, dominèrent la vie des Empires germaniques.

Devenu empereur par les soldats et par les armes qu’il tirait de l’étranger, toujours le monarque-margrave sentit la double nécessité de donner une façade civile à l’Allemagne, qui la désirait, et d’emprunter cette façade aux seuls fabricans de cités et de civilité, aux nations latines. Ce fut vers la France ou vers l’Italie que toujours il regarda, lui aussi, pour copier l’État à la dernière mode. Mais toutes ces copies ne firent jamais que décevoir et l’envie de l’Allemagne et les besoins de l’Empereur.

L’Allemagne de 1848 était envieuse d’unité française et de libertés anglaises ; elle désirait une unité nationale, fondée sur les libertés parlementaires : « La démocratie patriotique de 1840 à 1850, dit M. de Bülow, rêvait une unification de l’Allemagne qui supprimât l’indépendance des États de la Confédération et fit reposer la force de l’union dans un Parlement d’Empire. » Les généraux du Hohenzollern ne lui avaient pas encore ouvert le chemin de l’Empire et son délégué à la Diète commune, Bismarck, semblait promettre à l’Allemagne une union toute moderne, et non plus une Confédération gothique, un Empire à la Napoléon, et non plus celui de Charlemagne, bref un État où, la place d’honneur étant réservée à une monarchie commune, on saurait accueillir dignement la nation et ses élus.

Après les victoires de la Prusse, que devient cet Empire national-libéral ? L’Allemagne avait rêvé d’une maison familiale qui abritât enfin toute la nation germanique, fraternellement conviée : dans le nouvel Empire, c’est une partie seule-