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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

errant. « Pour amalgamer, comme dit M. de Bülow, l’esprit allemand avec sa monarchie » prussienne, souabe, franconienne, saxonne ou franque, l’Empereur dut toujours intervenir quotidiennement et personnellement dans tous les rapports entre ses Allemagnes et sa majesté : il faut toujours habituer les sujets, par de subites apparitions et des alertes continuelles, à respecter la consigne impériale, à supporter l’unité nationale, à pousser l’offensive allemande. Quand l’Empereur fait son métier et y réussit, les Allemagnes, perinde ac cadaver, ne sont plus entre ses mains qu’un instrument inconscient et docile : « Il n’y a que deux choses parfaites au monde, s’écriait un jour un fervent serviteur du Tsar : l’Église catholique et l’armée prussienne. » Mais quand l’Empereur néglige son métier ou rate ses effets, le corps germanique reprend sa figure de monstre sans règle, irregulare aliquod corpus et monstro simile, disait S. de PÜfendorf au xve siècle, et les Allemagnes (la comparaison est encore de lui) ne sont plus qu’une cohue de Grecs marchant contre Troie sous le sceptre impuissant d’un Roi des Rois.

Si donc, — pensait M. de Bülow, — si l’Allemagne eût toujours entendu son intérêt et sa grandeur, elle se fût ralliée, corps et âme, esprit et volonté, aux regna militaires qui lui imposèrent successivement leur imperium. Elle eût toujours obéi au premier signe des monarchies franque, saxonne, franconienne et souabe de l’Ancien Empire. Elle obéirait à tous les ordres de cette monarchie prussienne qui vient de relever le Nouveau. Dans ce nouveau mariage, c’est « l’État prussien qui est l’être viril, l’homme et, comme tout homme méritant ce nom, il présente une foule de contrastes brutaux ; il n’est capable de grands services que si une forte volonté règne en lui. » Voilà encore l’une de ces heureuses formules qu’il faut souligner au passage : au gré de M. de Bülow, un homme ne mérite ce nom que dans la mesure de sa brutalité.

Le malheur est qu’en son ménage actuel avec l’État prussien, comme en ses ménages d’autrefois avec les États souabe, franconien, saxon ou franc, — et comme beaucoup de femmes dans beaucoup de ménages, — l’Allemagne semble ne pas admirer toujours la brutalité : souvent elle consent, parfois elle