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Visconti Venosta n’avait qu’une parole ; il n’entendait pas qu’on put l’interpréter ou la discuter ; tous les actes qui portaient sa signature et qu’il avait mûrement réfléchis, dans l’intérêt de sa patrie, devaient recevoir leur exécution entière. Il racontait naguère encore à ses intimes qu’il avait hésité de longs mois avant d’admettre les aspirations marocaines de la France, car il savait quelles convoitises existaient sur ce point de la terre d’Afrique ; mais le prix ne lui avait pas paru trop cher, si l’Italie devait rejoindre les rivages de Tripoli et de Cyrène, qui font face à ses côtes Ioniennes, sans se heurter à une escadre française. Une fois le pacte conclu, il ne crut pas trop faire en intervenant de tout le poids de son autorité dans la Conférence d’Algésiras pour empêcher la moindre atteinte d’être portée aux clauses de l’accord. Cette fidélité de l’Italie, qu’elle maintint au risque d’encourir l’humeur d’alliés puissans, contribua sérieusement au succès de la politique française au Maroc. De même, il y a cinq mois, la prompte approbation du grand octogénaire vint confirmer M. Salandra dans une attitude de neutralité qui maintenait rigoureusement l’Italie sur le terrain des traités défensifs et la retranchait de la Triple Alliance dès que celle-ci devenait agressive. Pour tout dire, la pensée ferme et profonde, l’art consommé dans la connaissance et le maniement des hommes, servirent, chez Visconti Venosta, une faculté maîtresse qui les domina toutes : le caractère.

L’Italie, qui était fière de le conserver comme un vestige vivant de la génération à laquelle elle doit son existence politique, a entouré de regrets universels sa fin digne d’un sage et d’un chrétien. Tous les partis se sont associés au deuil national plus vivement ressenti par les montagnards des vallées que les ancêtres de M. Visconti Venosta avaient dominées et défendues. Et l’écho de ces hommages se propagea même au delà, des Alpes dans cette France où le grand diplomate avait puisé bien des élémens de son éducation politique, et qu’il aimait comme une seconde patrie des esprits libres.


GlUSEPPE GALLAVRESI.