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prièrent de donner encore une conférence. Quoiqu’il évitât de parler à ses élèves des choses du dehors, il nous communiqua, à son retour, les tristes réflexions que lui avait suggérées le voyage, et il termina par ces mots : « Si Strasbourg nous est rendu et que l’un de vous y occupe mon ancienne chaire, je le prie, le jour où il en prendra possession, d’accorder un souvenir à ma mémoire. »

C’est le seul honneur que Fustel ait jamais souhaité. Il avait cette modestie si fière des âmes hautes. On sait qu’il fallut le presser beaucoup pour qu’il acceptât la direction de l’Ecole normale supérieure, et, dès qu’il eut une raison de dignité pour s’éloigner de ce poste élevé, qu’il avait accepté par sentiment de son devoir, il reprit son enseignement et ses rudes études.

Il était membre de l’Institut. Gaston Boissier, qui admirait chez son collègue l’humaniste accompli et l’écrivain de tradition classique, aurait voulu le conduire à l’Académie française. Il détourna ses instances par cette excuse qui doit être rare chez les candidats : il n’avait pas assez fait. Il ne pouvait présenter que bien peu d’ouvrages ; quand il aurait terminé ses travaux sur le moyen âge, il aurait peut-être les titres que l’on doit avoir.

Mais nous connaissons, grâce à la confidence de Paul Guiraud, quel fut le vœu secret du grand historien. Je me permets de le transmettre au directeur de l’Enseignement supérieur, notre camarade normalien Lucien Poincaré. Le jour où il ira inaugurer l’Université française de Strasbourg, qu’il nous fasse une joie de plus et donne le nom de Fustel de Coulanges à la salle d’histoire où l’on enseignera, sans faiblesse, mais humainement, l’histoire de la patrie.


ERNEST DUPUY.