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avec autant de scrupule scientifique que les communiqués de la fameuse agence Wolff. Mais qui croira que le roué Mommsen ou même que le pur Treitschke, dans leurs attaques véhémentes contre nous, aient été à ce point sincères ? Tout au plus dirons-nous qu’ils se payaient de mauvaises raisons et s’illusionnaient. Ils se flattaient que l’Allemagne humaniserait la Prusse, et il est arrivé que la Prusse, en inoculant ses instincts barbares à l’Allemagne, n’a réussi qu’à propager dans tout le sang germain une monstrueuse maladie morale.

Ce n’est pas un Français qui a le premier constaté et dénoncé ce résultat. C’est l’Allemand Treitschke lui-même. Homme austère, religieux, son sentiment intime a fini par se révolter devant la corruption du principe vital de la Germanie actuelle. Presque à la veille de sa mort, en 1895, il fit publiquement cette confession : « Dans tous les sens nos mœurs se sont détériorées. Le respect, que Goethe déclarait être la vraie fin de toute éducation morale, disparaît dans la nouvelle génération avec une rapidité vertigineuse. » Il affirmait que le respect de Dieu, le respect des limites que la nature et la société ont établies entre les deux sexes, que le respect de la Patrie disparaissaient de jour en jour devant la poussée égoïste des appétits et des jouissances brutales. Quant au jeune empereur, il n’avait pas attendu jusque-là pour se révéler, aux yeux du confident des pensées de Bismarck, comme un « charlatan dangereux. » Le germe de déchéance, démêlé par Fustel de Coulanges, dans le triomphe même de l’esprit de conquête des Allemands, avait mûri mystérieusement, et les yeux, devenus perspicaces, du professeur allemand considéraient avec terreur cette moisson qui se levait. Périr de corruption ou subjuguer l’Europe, c’est le choix qui s’offrait à ce peuple victorieux.

Les nations alliées, comme Fustel de Coulanges le prévoyait, ont formé le faisceau. Rien ne pourra le rompre, et la hache des peuples libres achèvera, le jour venu, le colosse oppresseur. Ce jour, qu’il a prophétisé, Fustel de Coulanges ne le verra pas.


V

« Les Strasbourgeois, » a écrit Paul Guiraud, dans le livre que je citais en commençant, « n’oublièrent pas le professeur qu’ils avaient tant goûté. Peu de temps après la guerre, ils le