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besoin d’admirer l’étranger et surtout l’Allemagne fut en France « plus fort que l’amour du vrai et que l’esprit critique. » Ce fut un enthousiasme sans nom pour la tradition germanique, « en dépit des documens, en dépit des chroniques et des écrits de chaque siècle, en dépit des faits les mieux constatés. » La mode fut d’exalter les Germains les plus reculés, et, tout en chargeant par plaisir la Gaule d’iniquités, personne ne parut tenir le moindre compte de ce que les historiens latins avaient su, avaient vu, avaient affirmé, démontré de la débauche et de la cruauté des barbares de Germanie. Passe encore pour les origines. Hélas ! « Nous portions les mêmes illusions et cet engouement irréfléchi dans toutes les parties de l’histoire. Partout nos yeux prévenus ne savaient voir la race germanique que sous les plus belles couleurs. Nous reprochions presque à Charlemagne d’avoir vigoureusement combattu la barbarie saxonne et la religion sauvage d’Odin. Dans la longue lutte entre le sacerdoce et l’empire, nous étions pour ceux qui pillaient l’Italie et exploitaient l’Eglise. Nous maudissions les guerres que Charles VIII et François Ier firent au delà des Alpes. Mais nous étions indulgens pour celles que tous les empereurs allemands y portèrent depuis cinq siècles. Plus tard, quand la France et l’Italie, après le long travail du moyen âge, produisaient ce fruit incomparable qu’on appelle la Renaissance, d’où devait sortir la liberté de conscience avec l’essor de la science et de l’art (l’admirable formule !), nous réservions la meilleure part de nos éloges pour la Réforme allemande, qui n’était pourtant qu’une réaction contre cette Renaissance, qui arrêta et ralentit cet essor dans l’Europe entière, et qui trop souvent n’engendra que l’intolérance et la haine. » O merveilles de Reims, de Louvain, d’Arras, d’Ypres, lacérées et jetées à bas par les obus incendiaires que les Allemands dirigeaient sur vous, entre deux reprises sans doute du cantique luthérien,


Ein feste Burg ist unser Gott,


que notre maître n’est-il là pour appeler en témoignage vos ruines [1] !

  1. Il vaut mieux prévenir certaines objections. Un de mes amis me rappelle que, dans une supplique adressée à Guillaume II, de nombreux sujets allemands, membres d’un des grands ordres religieux de la catholicité, ont sollicité « la faveur de servir contre la France impie. » D’autre part, dans nos armées, si quelque chose égale l’esprit de sacrifice des prêtres catholiques enrégimentés, c’est la bravoure résolue des fils des protestans français. Est-il nécessaire d’ajouter que le sémitisme. l’islamisme, la pensée libre ont leurs jeunes héros ? Le bloc pangermaniste s’est heurté à la concorde sublime des âmes de nos soldats.