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Dieu qui pille par vos mains et qui tue par vos canons. La dévotion est un bien doux oreiller pour la conscience. « Il passe dans cette ironie, d’une tristesse ardente, un frisson d’âme à la Pascal.

Avec une clairvoyance bien pénétrante et bien rare, pour un Français de ce temps-là, Fustel de Coulanges décrit la frénétique exaltation des sentimens belliqueux, non dans les classes ignorantes de l’Allemagne, mais dans les classes « élevées et instruites. » Il sait que les anciennes idées sur « la guerre et la gloire » sont l’aliment de la conversation des salons berlinois et « trônent dans les chaires de l’Université. » Il montre qu’à la guerre d’autrefois, « loyale et sans fiel, » la maison des Hohenzollern a substitué un art de combattre nouveau. « Elle a compris, avant tous les autres hommes, que, pour récolter plus sûrement la victoire, il faut commencer par semer la haine. Elle s’est mise à l’œuvre longtemps à l’avance ; bien avant de nous combattre, elle a répandu parmi ses sujets les calomnies les plus incroyables sur notre caractère. Elle n’a cessé de leur parler de notre orgueil, de notre ambition, de notre athéisme, de notre immoralité ; elle a dévotement fait couler la haine dans les âmes. Elle y a employé la religion et a fait du piétisme une arme de combat contre nous. Elle y a employé aussi la science : ses professeurs se sont attachés à travestir notre Révolution française et à dénaturer toute notre histoire pour nous rendre haïssables ; j’en connais qui ont altéré jusqu’à l’histoire romaine pour la remplir d’allusions contre nous. »

La nation haineuse, qui s’était ainsi formée, ne faisait plus la guerre à l’Etat français, mais à la France, mais à tout homme de notre race, mais à toute existence, forte ou faible, alimentée d’un flot de notre sang. « Son orgueil voulait effacer notre nom, son envie voulait détruire nos arts et nos sciences, sa cupidité voulait emporter nos richesses. Par-dessus tout, sa dévotion prétendait châtier nos vices, et elle commençait par nous enlever notre argent, afin d’en faire à Berlin un meilleur usage que nous. Voilà jusqu’où a été poussée la politique d’envahissement... Jamais monarques ni ministres n’avaient si bien su employer un peuple à en frapper un autre. »

Tout cela, sans doute, est noté, déterminé, décrit avec la justesse et la force d’un penseur, qui est un écrivain. Mais que dire de cette vue fatidique de l’avenir ? Quand l’Allemagne aura