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est occupée par la même race que cet Etat. » Fustel de Coulanges montrait non seulement l’iniquité, mais l’absurdité du principe entendu à la manière de la Prusse, et il revendiquait la tradition « du bon sens de l’Europe, » c’est-à-dire le droit pour l’Alsace de ne pas se soumettre à une nation, si forte qu’elle fût, qui lui fût étrangère.

Mais, avait dit Mommsen, l’Alsace est de nationalité allemande : « Sa race est germanique, et son langage est l’allemand. » La nationalité, répond Fustel, plusieurs années avant qu’Ernest Renan n’ait repris cette thèse, n’est ni affaire de langue ni affaire de race. C’est le trésor des sentimens héréditaires, c’est le legs « des victoires et des défaites, de la gloire et des fautes, des joies et des douleurs » qui fait une patrie [1]. Par le cœur, par l’esprit, ajoutait-il, l’Alsace est de toutes nos provinces la plus française. On l’a vue à l’œuvre. « On a sommé Strasbourg de se rendre, et vous savez comment il a répondu... Comme les premiers chrétiens confessaient leur foi, Strasbourg, par le martyre, a confessé qu’il était Français. » Quelle cornélienne éloquence ! A ce « prétendu » principe de nationalité, il opposait un autre principe, celui de l’avenir, le principe du libre choix, par la population, soit des institutions qui doivent la gouverner, soit de l’Etat, auquel elle soumettra sa volonté constante. Il concluait ainsi : « La France n’a qu’un seul motif pour vouloir conserver l’Alsace, c’est que l’Alsace a vaillamment montré qu’elle voulait rester avec la France. Voilà pourquoi nous soutenons la guerre avec la Prusse... Nous combattons contre vous au sujet de l’Alsace ; mais, que nul ne s’y trompe : nous ne combattons pas pour la contraindre, nous combattons pour vous empêcher de la contraindre. »

Langage émouvant et viril, et qui saisit par sa noble naïveté, quand on le rapproche aujourd’hui des aphorismes germaniques. « Nous, Allemands, » proclamait Henri de Treitschke, faisant écho à la voix de Mommsen et tâchant de la dominer, « nous qui connaissons et l’Allemagne et la France, nous savons bien mieux ce qui est bon pour l’Alsace que ne le savent elles-mêmes ces malheureuses populations. » Le Teuton s’indignait à l’idée que ces populations, enveloppées et comme garrottées dans un

  1. Cette définition exprime l’idée essentielle de la conférence : « Qu’est-ce qu’une nation, » qui fit sensation sous les voûtes de la Sorbonne. Renan aurait dû y nommer Fustel.