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la Prusse, « malencontreusement attaquée, » n’avait fait que prendre la défensive pour repousser une insolente et imprudente agression. La supercherie effrontée du comte de Bismarck, falsifiant en compagnie de Moltke et de Roon la fameuse dépêche d’Ems, pour lui donner le caractère injurieux destiné à produire sur le « taureau français » l’effet d’un « haillon rouge, » restait encore, et pour longtemps, le secret des trois bons apôtres. Fustel se borna donc, sur ce point-là, à répondre très simplement, mais avec une force de conviction dont on n’espère pas donner l’idée en résumant, presque en trois mots, ses argumens : depuis l’entrevue de Ferrières, les rôles étaient renversés ; en repoussant toute demande de paix, la Prusse, à son tour, était devenue l’agresseur ; ses desseins ambitieux n’avaient rien de secret, elle étalait toutes ses convoitises.

Mais la troisième lettre de Mommsen allait plus loin que les deux autres. Il réclamait pour la patrie allemande, après l’écrasement des forces de l’ennemi, la liberté de retenir telle ou telle partie de notre territoire qu’elle voudrait s’annexer. C’était, selon lui, un devoir pour la Prusse que de « s’emparer de l’Alsace et de la garder. » Avant même que M. de Bismarck eût énoncé sa résolution de trancher « par la force » cette question : L’Alsace est-elle à la France où à l’ Allemagne ? les historiens de Germanie, armés en guerre à leur manière, mettaient leur érudition et leur dialectique au service de l’esprit de conquête le plus rapace et le plus immoral qu’on eût jamais imaginé. La Science allemande se faisait un sujet de gloire d’humilier aux pieds de la Force le Droit, ou d’affirmer brutalement que ces termes se confondaient. C’est cette criminelle confusion qu’il importait de signaler et de flétrir.

« Il faut que l’on sache bien s’il est vrai que, dans cet horrible duel, le Droit se trouve du même côté que la Force. » Sur quel support d’ordre moral s’appuyait donc l’ambition dévorante de l’Allemagne ? Sur le principe de la nationalité ? Mais, en faisant appel à ce principe, elle en dénaturait du tout au tout la signification. Ce n’était plus, comme tous les peuples sauf un seul en demeuraient d’accord, la faculté, « pour une province ou pour une population, de ne pas obéir malgré elle à un maître étranger. » C’était, au profit d’un « Etat puissant, » l’initiative assurée et indiscutable de « s’emparer d’une province par la force, à la seule condition d’affirmer que cette province