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seyant des armées impériales, avait reçu cette verte réponse : « Je respecte profondément votre uniforme, mais avant de le revêtir je me ferais sauter la cervelle. »

En effet, la place de Visconti Venosta était désormais fixée dans les rangs des champions du principe des nationalités et l’enthousiasme avec lequel il considérait le rôle de la France dans la civilisation européenne dérivait de ce qu’il la considérait à bon droit comme le rempart vivant de la liberté des peuples. L’année suivante, Cavour l’envoya à Londres pour appuyer le Gouvernement anglais, dans lequel il se plaisait à reconnaître un élément non moins indispensable au progrès de l’Europe, dans ce libéralisme éclairé qui, depuis les lettres de Gladstone à Lord Aberdeen, avait constamment inspiré la politique du Cabinet de Saint-James dans les affaires de Naples et de Sicile. Visconti Venosta avait été chargé de missions délicates dans les provinces méridionales qui venaient de se soustraire à la déplorable administration de cette branche des Bourbons. Le procédé avait été forcément brusque et n’avait pas pu échapper aux apparences d’une attaque violente contre un voisin inoffensif de la part des troupes du roi Victor-Emmanuel. Il appartenait à Visconti Venosta, si intimement convaincu de la légitimité des revendications nationales, de percer à jour les sophismes des défenseurs d’un régime écroulé sous le poids de ses fautes. Les ministres anglais n’eurent pas de peine à comprendre à qui ils avaient affaire et, dans ce diplomate de trente ans, plaidant hardiment une cause calomniée, ils reconnurent d’emblée les plus hautes qualités politiques. Les honneurs et les responsabilités venaient à Visconti Venosta. Entré au Parlement et au Ministère, il n’avait pas trente-cinq ans lorsque la confiance du ministre Minghetti lui valut le portefeuille des Affaires étrangères, au moment où la révolution polonaise troublait tous les esprits. On pouvait voir surgir une certaine mésintelligence entre la France et l’Angleterre. Le jeune ministre italien, anxieux de conserver au nouveau royaume le patronage des deux puissances libérales, s’appliqua à dissiper les malentendus entre elles, grâce surtout à deux missions extraordinaires du comte Pasolini. Ce fut Visconti Venosta qui prit sur lui de négocier et de conclure, avec la collaboration du marquis Popoli et du chevalier Nigra, la convention de septembre 1864. Son collègue français, Drouyn de Lhuys, se flattait de lier ainsi les mains de l’Italie. Visconti