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France, et peut-être en même temps l’honneur et l’intérêt de l’Europe. » Comment oser traiter de ville corrompue, et réprouvée, et à jamais damnable, ce Paris « à qui tout manque, excepté le cœur ? » Ah ! nous avons été mieux instruits par l’expérience et nous savons jusqu’à quel point des argumens de cette sorte sont des traits impuissans, lorsqu’il s’agit de traverser la cuirasse de fer forgé, la muraille de diamant qui protège contre l’équité les consciences germaniques.

Cette doctrine sacrilège, prêchée par les pasteurs sous couleur de parole sainte, Fustel de Coulanges aurait pu rappeler, s’il l’eût jugé à propos, qu’avant de devenir l’acte de foi de la chaire évangélique chez les Prussiens, elle était, depuis cinquante ans, le catéchisme indiscuté des historiens allemands. Il avait lu Niebuhr, Ranke, Mommsen, Sybel, Droysen, Dahlmann, Giesebrecht et d’autres. Il connaissait leurs formules, ou tranchantes ou insinuantes, mais sans équivoque toujours, sur la supériorité de l’Etat de Prusse et de la lignée des Hohenzollern. Dans une des préfaces de son Histoire de l’époque révolutionnaire, Henri de Sybel, le pamphlétaire mordant, qui s’était rendu populaire dans les limites de l’Allemagne, et même fameux au delà, par son impitoyable discussion sur la Sainte tunique de Trêves, s’exprimait ainsi sur le problème religieux : « En embrassant le protestantisme, l’Electeur de Brandebourg devint, par cela même, le champion de l’Allemagne indépendante ; tout au rebours, l’Autriche, en ruinant chez elle l’œuvre de la Réforme et en livrant aux Jésuites l’éducation de ses sujets, a rompu pour jamais avec la tradition de l’esprit allemand [1], » Dans un écrit plus ample et plus documenté, dont j’essaierai plus loin de montrer le haut intérêt, Fustel de Coulanges signalera d’un trait rapide, mais profond, l’importance qu’il est juste d’attribuer, dans la fureur de haine des Allemands contre le peuple français, à leur fanatique aversion pour la croyance et les pratiques catholiques. Et qui donc pourrait en douter ? La guerre de 1870, celle de 1914 ont été, avant tout, organisées pour la conquête et pour l’annexion de territoires français ; mais elles gardent

  1. Le passage est mis en bon jour par M. Antoine Guilland, professeur d’histoire à l’École polytechnique suisse, dans son remarquable ouvrage : L’Allemagne nouvelle et ses historiens. Qui n’a, parfois même sans le nommer, profité de ce livre ?