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plus difficile fut de leur faire admettre que, non, ce n’est point aux femmes à commencer le dialogue de l’amour : ils préféraient qu’on vînt à eux, avec de la complaisance toute prête. Et puis, le mysticisme de l’amour les importunait, comme aussi l’attirail compliqué des épreuves et des délais, tant de cérémonie ! Les premiers Minnesinger, là-dessus, montrent de la mauvaise humeur et laissent deviner la maladresse de leurs chevaliers galans, des rustres fort déconcertés. Un peu plus tard, Wolfram d’Eschenbach, Gottfried de Strasbourg, Hartmann d’Aue, Walther de la Vogelweide sont de charmans poètes et au courant de toute gentillesse : mais poètes courtois, c’est à la France qu’ils ont emprunté la maxime de courtoisie, principe d’élégance et de morale, discipline des passions et loi de renoncement. Tout de même, leurs bévues trahissent quelquefois leur bonne volonté. Wolfram d’Eschenbach n’évite pas les fautes d’une sensualité qu’il contient assez mal ; Hartmann d’Aue ne s’accoutume point à ce que les femmes aimées ou désirées ne fassent pas toutes les avances ; il refuse de « mettre l’honneur au-dessus de la vie » et ses chevaliers ne risquent pas inutilement, pour le seul plaisir de l’abnégation, l’aventure de la mort. Les successeurs de ces poètes sont franchement d’une autre sorte. Neidhart, lui, remplace les nobles dames par des Gotons ; Steimar débite des ordures. Les seigneurs n’ont plus pour modèles Arthur de Bretagne et ses compagnons ; mais ils épiloguent touchant le prix du blé, les vendanges, et retournent aux maritornes. Qu’est-il arrivé ? L’influence française en Allemagne déchue ; aussitôt la vulgarité allemande triomphe. Mais alors, l’Allemagne organise ses libertés communales, sa bourgeoisie ; c’est encore à la France qu’elle demande des recettes. Puis, sous le règne de Louis XIV, la France élabore et conduit au plus merveilleux achèvement le système de ses idées. L’Allemagne adopte ce système intégralement : « conception de la vie politique, institutions civiles et militaires, attitude envers la religion, philosophie, usages mondains, rôle social de la femme, littérature, les arts, les métiers, tout est français, en Allemagne, jusqu’à la langue elle-même. » Schlosser écrit : « Nous avions tant de respect pour la langue et les usages de l’étranger que n’importe quel barbier français portait en Allemagne le titre de marquis et que, tandis que le docteur allemand marchait de pair avec le cocher, le maître de français était reçu à la Cour et frayait avec les altesses. » On proposait à Frédéric II, comme bibliothécaire, le célèbre Winckelmann, qui désirait, en fait d’émolumens, deux mille thalers ; et le Roi : « Pour un Allemand, mille thalers, c’est bien assez ! » Il engagea un très obscur bénédictin français