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M. Reynaud la lenteur de ses manœuvres offensives ; certes, il ne va pas vite : mais pouvait-il se lancer plus hardiment sur un terrain miné, parmi les embûches et parmi la préparation formidable de l’imposture ? Il chemine avec une sage précaution ; quand une fois on a compris sa tactique et les nécessités de sa méthode, on l’accompagne volontiers.

Les cinq cents pages in-octavo de son Histoire générale, comment les résumerai-je, si déjà elles ne sont qu’un résumé ? Je ne souhaite que de retracer les grandes lignes de l’ouvrage. Eh bien ! dès le commencement de l’Europe, le Germain barbare est, pour la pensée, le tributaire du Celte : pour la pensée, et dans l’action même. Le Celte lui enseigne le labourage, la construction des villages et des villes, le combat, la poésie qui chante les héros, l’art qui orne la rude existence. La Gaule chrétienne évangélise la Germanie ; elle importe en Germanie le secret de la vie policée, l’organisation de l’État. Nos religieux, Clunisiens, Cisterciens et Prémontrés, vont en Germanie défricher le sol, former des artisans et des artistes, ouvrir les âmes à de belles croyances. Au XIIe siècle, la France rayonne de prospérité : c’est une des époques les plus magnifiques de la France, une de celles où ont le mieux flori ses arts, sa poésie et sa gaieté ; c’est alors que naît la « douce » France, bien souriante, et qui invente, dans la richesse, le goût. Puis elle invente son aménité, une grâce nouvelle du cœur et de l’esprit, la courtoisie. On a comparé à Racine le poète Chrétien de Troyes : c’est lui faire beaucoup d’honneur, et plus que de raison. Mais, dans les poèmes de Chrétien, la politesse du récit, la finesse des sentimens et une élégance exquise témoignent en effet de la perfection délicate qui fut, en ce temps, naturelle et habituelle dans la société française. Le vocabulaire de l’amour n’a jamais été plus attentif, plus discret ; et l’amour n’a jamais été plus sincère à la fois et plus respectueux ; elles femmes n’ont jamais été environnées de plus d’égards, et plus ingénieux. La France porta en Allemagne sa trouvaille, la courtoisie : dangereux voyage, pour un si fragile chef-d’œuvre ! Les femmes allemandes ne s’attendaient pas à une telle aubaine ; et, les Allemands, il leur fallut renoncer à ces fortes réunions d’hommes, où l’on buvait, où l’on chantait sans vergogne ; il leur fallut, pour suivre la mode française, apprendre les règles de la causerie. Or, les critiques d’outre-Rhin réclament pour leurs ancêtres l’invention de la « Frauenverehrung, » — c’est le respect qu’on doit aux dames ; — pas du tout ! et les Français ne réussirent pas sans peine à dresser aux jolies manières ces barbares, d’ailleurs zélés. Le