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passionnée à l’initiative commune de requinquer, puis d’exalter l’orgueil national. Je ne dis pas qu’il n’y ait là aucune beauté ; mais tromperie, incontestablement. Les érudits allemands, — sauf toutes les exceptions honorables qu’on voudra, — se sont embauchés dans les troupes irrégulières du pangermanisme. Pour peu qu’on le sache, et c’est l’évidence même, on n’aura guère été surpris du manifeste dit des « Intellectuels allemands, » où tant de contre-vérités impudentes compromettent la signature de professeurs et de philologues notoires.

Schlegel a composé son Cours de littérature dramatique pour démontrer que, sur les ruines de la civilisation gréco-latine, les Germains christianisés, sublimes inventeurs, ont édifié la civilisation nouvelle. Gervinus a composé son Histoire de la littérature nationale « pour signifier à ses compatriotes qu’ayant derrière eux déjà l’apogée de leur production littéraire, ils eussent à se tourner vers l’action. » Mommsen, dans son Histoire romaine, « prêchait la restauration de l’Empire. » Ranke, Sybel et Treitschke « préparaient les voies à la Prusse. » Eh bien ! qu’ils préparent les voies à la Prusse, qu’ils prêchent la restauration de l’Empire, encouragent leurs compatriotes à l’action, vantent le génie créateur des Germains, c’est leur idée : qui la leur reprocherait ? Seulement, leur idée, ils l’ont dissimulée ou déguisée sous les dehors de l’histoire : et, leur astuce, la voilà. Où l’astuce devient la plus sournoise, c’est dans l’érudition proprement dite. On sait qu’un historien, si intègre qu’on le suppose, cache toujours un orateur : on se méfie. On ne se méfie pas d’un philologue, d’un mythologue. Philologues et mythologues allemands profitèrent de la créance qu’on leur accordait ; ils en abusèrent et, sous couleur de science impartiale, ils tirèrent à eux, à la Germanie, ce qui n’appartenait point à eux, ni à la Germanie. En fin de compte, ils élaborèrent cette illusion : « à savoir (dit M. Reynaud) que, dans n’importe quel ordre de faits, il convenait d’abord de définir le rôle de l’Allemagne, les événemens les plus importans de la civilisation ne pouvant avoir leur origine que dans un effort spontané du monde germanique. » Les Germains étaient « le sel de la terre. » A toute mythologie étrangère, ces malins trouvaient une racine dans le sol tudesque ; les coutumes ou les légendes, les thèmes lyriques ou épiques de l’Espagne, de la France ou de l’Irlande, ils les rattachaient à des origines allemandes. Leurs Niebelungen étaient la source de la poésie universelle, tandis que ces Niebelungen dépendent très étroitement de nos épopées féodales et tandis que l’auteur des Niebelungen avait la tête farcie de notre littérature médiévale. L’architecture gothique, l’art français par