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le problème, qui ne l’ont pas éclairé, qui l’ont obscurci. Je reproche à nos érudits la lenteur embarrassée de leur dialectique : ; c’est qu’ils ne bougent pas commodément parmi la quantité des matériaux, quelquefois en décombres, apportés par leurs devanciers. Il y a là du mauvais et du bon. Ce n’est pas dans un chantier parfait que le savant moderne travaille, mais dans les démolitions d’une bâtisse qu’on appelle la science, bâtisse de Babel, toujours à recommencer. Chaque ouvrier la recommence ; et il emploie les pierres que d’autres ont taillées : il les taille à son tour, corrigeant les fautes d’un imbécile ou d’un maladroit. Et n n’en finit pas. Quant au problème de l’influence française en Allemagne, comme il n’en est pas de plus divers et de plus embrouillé, peut-être aussi n’en est-il pas qui ait également souffert d’une malfaçon, tantôt involontaire et tantôt pareille à un industrieux sabotage. Ces jeunes gens de Gœttingue, si ardens à réagir contre l’influence française, ont donné, dans leur pays, le signal d’une activité qui, depuis lors, n’a pas eu de cesse. Les poètes et les écrivains de toute sorte firent de leur mieux, et avec succès ou non, pour être originaux ; les érudits se chargèrent de démontrer qu’au surplus cette influence française n’existait pas et, en quelque sorte, n’avait point existé.

L’on se trompe, chez nous, sur la science allemande, quand on se la figure impassible, détachée de tous intérêts autres que la seule et intangible vérité. Ce n’est pas en Allemagne, c’est en France, au Collège de France, et en 1870, pendant la guerre, qu’un savant prononça ces mémorables paroles : « Je professe absolument et sans réserve cette doctrine, que la science n’a d’autre objet que la vérité, et la vérité pour elle-même, sans aucun souci des conséquences que cette vérité pourrait avoir dans la pratique. Celui qui, par un motif patriotique, religieux et même moral, se permet dans les faits qu’il étudie, dans les conclusions qu’il tire, la plus petite dissimulation, l’altération la plus légère, n’est pas digne d’avoir sa place dans le grand laboratoire où la probité est un titre d’admission plus indispensable que l’habileté. » Le grand Gaston Paris formulait ainsi l’évangile de la science française, évangile contre lequel les savans d’outre-Rhin ne se privent pas de pécher avec un zèle continu. La France était enclose dans le « cercle de fer » des armées allemandes, lorsque Gaston Paris refusait si noblement de soumettre la science à des argumens patriotiques : et le sujet de son cours était la Chanson de Roland et la Nationalité française ; d’un bout à l’autre de ses leçons, pas une fois il ne broncha. Mais eux, les savans d’outre-Rhin, c’est après la défaite d’Iéna, puis après la victoire de Sedan qu’ils vouèrent une érudition