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et enfin marcher d’une allure un peu plus gaillarde. Nous piétinons quelquefois, auprès de notre guide. Après avoir piétiné, nous ne savons plus où il nous mène. Et cet inconvénient l’oblige à des redites, qui ne sont amusantes pour personne. J’insiste : les érudits ont tort de ne pas veiller à notre plaisir. Cette négligence, à l’endroit de notre plaisir, n’est pas fort ancienne chez nous. Et d’où vient-elle ? D’Allemagne ! L’influence allemande chez nous, c’est ici qu’on peut la surprendre. Mauvaise influence, et contre laquelle nous nous révolterons un de ces jours, après la revanche de Rossbach et de Sedan. Les érudits possèdent la vérité. Ils l’ont découverte ; et ils nous la refusent : c’est nous la refuser que nous l’offrir d’une façon mal engageante. Sommes-nous frivoles par trop ? Ils ne le sont point assez. Il leur est venu, — d’Allemagne, hélas ! — une manie d’austérité, à laquelle je ne trouve ni utilité ni grâce. Pourquoi ne se contentent-ils pas d’être sérieux ? Cela suffirait. Sérieux ; aimables cependant. Ne nous aiment-ils pas ? Ils nous dédaignent ; non sans orgueil, ils s’enferment dans leur solitude. Et ils demeurent ésotériques ; nous demeurons ignorans. Une science plus gentille rendrait service à nous, et même à eux. Peut-être n’est-il rien qui vaille la peine d’être dit et qu’on ne puisse dire, presque gaiement, à presque tout le monde.

Cependant, gardons-nous de méconnaître l’effort considérable de M. Reynaud. Les résultats auxquels il aboutit laborieusement sont une acquisition véritable ; on a, en le lisant, la certitude heureuse de recevoir, non pas une opinion : de la réalité, rare présent. Que de recherches il lui a fallu mener à bien ! Cette influence que notre pays a exercée en Allemagne n’est pas seulement de qualité littéraire, mais philosophique, artistique et morale. Elle se révèle de la façon la plus variée, souvent la plus imprévue, dans les objets où d’avance on l’aurait le moins soupçonnée. Elle s’infiltre par des chemins cachés et confus. Puis, une idée qui passe les frontières ne voyage pas sans des péripéties nombreuses ; elle se modifie, prend les costumes et la mode des pays qu’elle traverse : et ne va-t-elle pas, sous de multiples déguisemens, nous échapper ? Tâche immense et délicate, celle que M. Reynaud ne craignit pas d’assumer : examiner dans le détail deux littératures, la française et l’allemande, deux histoires, la nôtre et l’histoire des Germains, l’histoire politique et militaire, l’histoire des institutions et l’histoire morale de deux nations qui sont en rapports de guerre et de commerce depuis plus d’un millier d’années. Pour augmenter encore la difficulté de l’entreprise, il y avait le prodigieux entassement des livres, dissertations et mémoires qui ont encombré